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Vivre en solidarité avec les ouvriers du secteur textile (2)

Article adapté de mon livre paru dans la Revue MEP, Cambodge N°585 octobre 2022

Aujourd’hui à Phnom Penh, six catholiques en cinq lieux différents font le choix de vivre au milieu des travailleurs, en particulier ceux de l’industrie de l’habilement. Parmi eux certains vont jusqu’à travailler à l’usine au nom de leur foi en Christ.

Avec la mission ouvrière, la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, mais aussi individuellement, nous ne proposons pas moins aux ouvriers que le salut. C’est à dire la libération de toute entrave : mort, péché, peur, isolement, enfermement, soumission, etc. Ce salut divin nous l’accueillerons peut-être pleinement quand le Christ reviendra. Mais sans plus attendre nous pouvons dès à présent y goûter : prendre conscience de l’incommensurabilité de sa valeur propre en tant que personne ; croire en soi, en sa dignité, en ses capacités, en son avenir ; acquérir une conscience éclairée, une liberté individuelle ; devenir responsable de soi et des autres ; se soucier du bien commun ; vivre ses convictions, les exprimer ; s’épanouir ; ne plus être soumis aux divers pressions sociales ; ne plus redouter le jugement des autres ; sortir de toute crainte, y compris de celle de la mort…

La culture khmère trouve en grande partie sa source en Inde. Le Cambodge n’a jamais connu de système de castes. Cependant, il en reste des traces dans la langue et aussi malheureusement dans la mentalité collective. Cela se manifeste par une hiérarchie sociale où chacun soumet ceux qui sont en dessous de lui et est soumis à ceux qui sont au dessus de lui. Si l’on est au sommet, on peut tout se permettre, on a aucun compte à rendre à personne. Si l’on est tout en bas, on a aucun droit, on doit en toute circonstance manifester de la déférence.

Suite à la visite orchestrée dans notre parc industriel du premier ministre HUN Sèn, mon rédacteur en chef me demanda d’interroger une ouvrière. Sophéap ne voulait pas répondre à mes questions. Elle n’était pourtant pas obligée de dire du mal du chef du gouvernement qui est au pouvoir depuis 37 ans. Et même, elle pouvait témoigner anonymement, le visage masqué et la voix modifiée. Le risque pour elle était extrêmement limité, quasiment nul. Mais « J’ai peur. »

Sophéap ne répond jamais à mes sollicitations pour tel ou tel événement. Elle refuse ce salut qu’elle entraperçoit pourtant à travers mon attention, mon choix de vie, mon rapport aux autres. C’est son droit. Elle préfère rester dans son monde étroit, dans la soumission. Ce choix m’attriste très profondément mais ne m’empêche pas de l’aimer. Pourquoi refuser la liberté tout en ayant conscience de ce qu’elle est ?

En réalité chaque être humain fait cette expérience dans sa vie. « Vois : je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur » (Deutéronome 30, 15). Or nous avons parfois des limites qui nous font choisir le malheur. La liberté est plus désirable mais elle peut faire peur parce qu’elle est responsabilité, risque. A peine sortie de l’esclavage « Toute la communauté des fils d’Israël murmura contre Moïse : “ […] au pays d’Egypte nous étions assis près du chaudron de viande, nous mangions du pain à satiété ! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour laisser mourir de faim toute cette assemblée ! ” » (Exode 16, 2-3). Et puis surtout, le passage de la mer rouge est effrayant, incertain. Sophéap est à l’aise dans son monde étroit parce qu’elle en connaît les quatre coins : le studio, l’usine, le marché, le village natal. Le monde immense, sans mur, sans frontière, sans limite est bien plus enviable mais si elle traversait, alors durant une période, elle se retrouverait comme entièrement nue, sans cette construction mentale exiguë qui la protège.

Heureusement certains acceptent d’avancer. Sa cousine Sav, sans pour autant quitter le même enfermement, accepta de me suivre un jour en fin de journée. L’invitation m’avait été lancée d’aller à la projection privée d’un film presque monté. Chaque invité devait venir avec une autre personne qui puisse formuler des critiques avec un regard extérieur. Sav a une grande confiance en moi mais il fallait qu’elle accepte d’être vue dans la rue en compagnie d’un homme, qu’elle s’autorise un moment de divertissement pour elle-même, qu’elle affronte sa peur de sortir le soir.

Et puis un petit nombre se transforme, passe de l’autre côté de la mer des roseaux. Sarit a répondu à une invitation de la JOC. Petit à petit, il s’est mis à sourire. Il a formulé des projets. Il a entrepris une formation. Il a pris confiance en lui. Il a changé d’employeur, s’est mis à travailler de son mieux. Il a voulu s’informer de la réalité du monde, former sa conscience. Il s’est mis debout. Il a commencé à penser par lui-même en faisant preuve d’esprit critique. Il a pris l’habitude d’exprimer ses convictions. Il a pris des responsabilités. Il est devenu acteur de sa vie. Il a pris conscience de ce qu’il valait. Il s’est mis à désirer le salut de Dieu.

Yann DEFOND, journaliste, ancien volontaire, ancien aspirant, ami des MEP
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Vivre en solidarité avec les ouvriers du secteur textile (1)

Article adapté de mon livre paru dans la Revue MEP, Cambodge N°585 octobre 2022

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Aujourd’hui à Phnom Penh, six catholiques en cinq lieux différents font le choix de vivre au milieu des travailleurs, en particulier ceux de l’industrie de l’habilement. Parmi eux certains vont jusqu’à travailler à l’usine au nom de leur foi en Christ.

Avec la mission ouvrière, la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, mais aussi individuellement, nous ne proposons pas moins aux ouvriers que le salut. C’est à dire la libération de toute entrave : mort, péché, peur, isolement, enfermement, soumission, etc. Ce salut divin nous l’accueillerons peut-être pleinement quand le Christ reviendra. Mais sans plus attendre nous pouvons dès à présent y goûter : prendre conscience de l’incommensurabilité de sa valeur propre en tant que personne ; croire en soi, en sa dignité, en ses capacités, en son avenir ; acquérir une conscience éclairée, une liberté individuelle ; devenir responsable de soi et des autres ; se soucier du bien commun ; vivre ses convictions, les exprimer ; s’épanouir ; ne plus être soumis aux divers pressions sociales ; ne plus redouter le jugement des autres ; sortir de toute crainte, y compris de celle de la mort…

La culture khmère trouve en grande partie sa source en Inde. Le Cambodge n’a jamais connu de système de castes. Cependant, il en reste des traces dans la langue et aussi malheureusement dans la mentalité collective. Cela se manifeste par une hiérarchie sociale où chacun soumet ceux qui sont en dessous de lui et est soumis à ceux qui sont au dessus de lui. Si l’on est au sommet, on peut tout se permettre, on a aucun compte à rendre à personne. Si l’on est tout en bas, on a aucun droit, on doit en toute circonstance manifester de la déférence.

Suite à la visite orchestrée dans notre parc industriel du premier ministre HUN Sèn, mon rédacteur en chef me demanda d’interroger une ouvrière. Sophéap ne voulait pas répondre à mes questions. Elle n’était pourtant pas obligée de dire du mal du chef du gouvernement qui est au pouvoir depuis 37 ans. Et même, elle pouvait témoigner anonymement, le visage masqué et la voix modifiée. Le risque pour elle était extrêmement limité, quasiment nul. Mais « J’ai peur. »

Sophéap ne répond jamais à mes sollicitations pour tel ou tel événement. Elle refuse ce salut qu’elle entraperçoit pourtant à travers mon attention, mon choix de vie, mon rapport aux autres. C’est son droit. Elle préfère rester dans son monde étroit, dans la soumission. Ce choix m’attriste très profondément mais ne m’empêche pas de l’aimer. Pourquoi refuser la liberté tout en ayant conscience de ce qu’elle est ?

En réalité chaque être humain fait cette expérience dans sa vie. « Vois : je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur » (Deutéronome 30, 15). Or nous avons parfois des limites qui nous font choisir le malheur. La liberté est plus désirable mais elle peut faire peur parce qu’elle est responsabilité, risque. A peine sortie de l’esclavage « Toute la communauté des fils d’Israël murmura contre Moïse : “ […] au pays d’Egypte nous étions assis près du chaudron de viande, nous mangions du pain à satiété ! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour laisser mourir de faim toute cette assemblée ! ” » (Exode 16, 2-3). Et puis surtout, le passage de la mer rouge est effrayant, incertain. Sophéap est à l’aise dans son monde étroit parce qu’elle en connaît les quatre coins : le studio, l’usine, le marché, le village natal. Le monde immense, sans mur, sans frontière, sans limite est bien plus enviable mais si elle traversait, alors durant une période, elle se retrouverait comme entièrement nue, sans cette construction mentale exiguë qui la protège.

Heureusement certains acceptent d’avancer. Sa cousine Sav, sans pour autant quitter le même enfermement, accepta de me suivre un jour en fin de journée. L’invitation m’avait été lancée d’aller à la projection privée d’un film presque monté. Chaque invité devait venir avec une autre personne qui puisse formuler des critiques avec un regard extérieur. Sav a une grande confiance en moi mais il fallait qu’elle accepte d’être vue dans la rue en compagnie d’un homme, qu’elle s’autorise un moment de divertissement pour elle-même, qu’elle affronte sa peur de sortir le soir.

Et puis un petit nombre se transforme, passe de l’autre côté de la mer des roseaux. Sarit a répondu à une invitation de la JOC. Petit à petit, il s’est mis à sourire. Il a formulé des projets. Il a entrepris une formation. Il a pris confiance en lui. Il a changé d’employeur, s’est mis à travailler de son mieux. Il a voulu s’informer de la réalité du monde, former sa conscience. Il s’est mis debout. Il a commencé à penser par lui-même en faisant preuve d’esprit critique. Il a pris l’habitude d’exprimer ses convictions. Il a pris des responsabilités. Il est devenu acteur de sa vie. Il a pris conscience de ce qu’il valait. Il s’est mis à désirer le salut de Dieu.

Yann DEFOND, journaliste, ancien volontaire, ancien aspirant, ami des MEP
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Happy Âphivoat

J’ai contribué bien modestement au tournage de ce film documentaire d’une grande valeur. Happy Âphivoat traite du développement économique du Cambodge ses dernières années. Celui-ci est pour une grande part l’œuvre des ouvriers, qui sont mis en valeur par le réalisateur Romain Kosellek.

Site de SaNoSi productions

• Année : 2019
• Durée : 53 min
• Diffusion : Tënk TV
• Prix : bourse Brouillon d’un rêve (SCAM)

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Phnom Penh : l’Église cambodgienne organise un séminaire sur le harcèlement au travail

Je partage ici l’article d’Eglises d’Asie qui relate une des actions du comité vie ouvrière du vicariat apostolique de Phnom Penh dont je fais partie.

Cliquez sur le titre pour lire l’article en entier

Mais ce dont souffrent le plus les jeunes ouvrières est le manque de considération. A l’usine on les prend bien souvent pour de simples machines. On ne s’intéresse qu’à leur capacité productrice. Ainsi on ne se gêne pas pour leur crier dessus, les admonester pour trois fois rien, les menacer, les insulter même parfois, voire les harceler sexuellement ce qui engendre la peur : « Alors que je n’avais travaillé qu’une semaine dans ma nouvelle usine, ma mère m’a téléphoné, racontait Sŏphéap. Ma famille avait besoin de moi pour moissonner le riz. A mon retour je suis entrée dans une autre usine. Je ne suis jamais retournée dans l’autre usine, même pas pour aller chercher ma paie de peur qu’on me reproche d’avoir subitement quitté mon poste. » Le harcèlement subi est une cause très fréquente de démission.

Extrait du livre
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Un centre commercial dans le parc industriel

Comme il vient tout juste d’ouvrir, je suis allé au centre commercial dont le chantier a entièrement barré notre rue durant un an et demi. Il n’est pas pourvu d’un accès pour piéton. On peut toujours marcher sur la chaussée mais seul un accès véhicule est prévu. Une supérette d’alimentation était ouverte. Je suis allé acheter un café dans l’autre établissement ouvert mais au moment de payer le garçon me fit : « C’est gratuit pour vous, Yan, officiellement, nous n’ouvrons que demain ! » Aucun autre commerce n’était ouvert. La boutique Décathlon était encore en travaux.
Ce centre commercial n’est situé qu’à 200 mètres de notre cité ouvrière mais c’est un monde qui les sépare. Le monde de l’opulence et le monde de ceux qui travaillent à l’usine… En partant j’ai proposé à des voisins de m’y accompagner mais ils ont décliné. Ils ne se trouvent pas dignes de fréquenter ce genre de lieu. De nombreux ouvriers s’y trouvent pourtant puisqu’ils finissent de le construire. Mais les marchandises qu’on n’y vendra seront trop chères pour eux.

Le terrain avant la construction

La culture khmère provient en grande partie d’Inde. Au Cambodge la société ne s’est jamais divisée en castes pourtant il en subsiste quelque chose dans le vocabulaire avec ses répertoires pour s’adresser aux personnes de son rang, aux membres d’une famille royale et aux bonzes. Mais c’est dans la mentalité collective que le système de castes survit. Cela se traduit par des rapports sociaux marqués par la soumission. Celui qui est au-dessus soumet celui qui est au-dessous et celui qui est au-dessous accepte d’être soumis à celui qui est au-dessus. La règle générale est donc d’être un enfant soumis à ses parents, une épouse soumise à son époux, un employé soumis à son employeur, un citoyen soumis au pouvoir politique. Ce phénomène ancestral se manifeste de façons variées où ceux qui ont le pouvoir l’exercent de manière autoritaire et où les autres expriment de la déférence. Quand vous aménagez dans une cité ouvrière et que vous informez le propriétaire que vous repeindrez l’intérieur du studio à vos frais il devrait s’en réjouir mais non… C’est tout juste s’il autorisera les travaux d’un air bougon en vous faisant bien comprendre qu’il s’agit là d’une tolérance de sa part. Pourquoi une telle réticence ? Parce qu’en rafraîchissant la peinture vous vous différenciez des autres, vous revendiquez un droit comme si vous habitiez chez vous alors que vous vivez en fin de compte chez votre propriétaire. A l’inverse tant que la règle usuelle est respectée, que chacun reste à la place qui lui est conférée, tout se passe pour le mieux… Que ce soit donc dans le rapport à l’environnement ou à l’entourage la peur distille son venin qui empêche aussi de se démarquer du groupe, de la tradition, de l’habitude collective admise.

Extrait du livre
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Collectif Blackbone

Je vous recommande la lecture de ce roman auquel j’ai modestement contribué en tant que consultant. L’intrigue prend place dans le milieu des ouvrières de l’habillement de la périphérie de Phnom Penh.
URIEN, Emmanuelle. Collectif Blackbone– Tome 2 – Fashion Victim. Éditions Nathan. Paris : 2020, 320 pages

Couverture

Marie vient d’intégrer une école de journalisme.
Elle décide d’enquêter sur les coulisses de la mode et sur les conditions de travail des ouvrières dans les usines textiles. Au cours de ses recherches, elle tombe sur un compte Instagram qui prend pour cible Yamaki, un célèbre mannequin. La top modèle vient de se suicider. Et Marie la connaît :
Il s’agit de la fille adoptive de Luca Snyder, le puissant homme d’affaires, dont elle a révélé les crimes au grand public avec l’aide de Léo et Andréa. Luca Snyder est persuadé qu’ils sont responsables de la mort de sa fille. Il est prêt à tout pour se venger…

Le deuxième volet des aventures du Collectif Blackbone qui porte sur les « coulisses de la mode » Une réflexion sur les nouveaux médias, le rôle des journalistes, et les conditions d’exploitation des ouvriers dans les usines textiles.

Résumé du livre

Remerciements

Les auteures confinées tiennent à remercier, sans ordre particulier, mais de tout cour : Yann Defond, coordinateur international des jeunesses ouvrières chrétiennes à Phnom Penh, qui a répondu avec patience et précision à nos nombreuses questions, y compris en khmer ; Emmanuel Scheffer, journaliste, pour avoir fait le lien entre Toulouse et le Cambodge ; Mathias Destal et Geoffrey Livolsi de Disclose pour leur accueil et leur enthousiasme; Salomée Dubart, étudiante en journalisme ; Manon Haussy du blog Happy New Green ; Frédéric Scheiber, photographe, les lanceurs d’alerte et les veilleurs discrets du monde entier qui collectent et diffusent des informations fiables et nous permettent de garder les yeux ouverts; tous les créateurs qui tentent de réinventer une mode durable et équitable préservant la nature, mais aussi la santé et la dignité de ceux qui fabriquent nos vêtements.

Bien entendu un grand merci également aux membres de l’équipe Nathan, en particulier à nos pétillantes éditrices Mélanie et Alice, ainsi qu’à Christian et Joséphine. Merci à Nancy qui fait vivre nos romans chez les libraires et au-delà.

Page 313
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L’ermite de la montagne

L’an dernier au sommet des monts Koulèn j’ai fait la connaissance d’un ermite. Conformément à son vœu et en référence à la tradition orientale il ne se coupe plus les cheveux, ne se rase plus en signe de consécration. Pour manifester son détachement de la matérialité il porte une toge mais blanche pour ne pas être confondu avec un bonze car il ne vit pas en communauté. Il porte autour du cou un chapelet bouddhique pour montrer ce qui est au centre de sa vie : la prière.

En fait il a été moine dans un monastère. Mais il est très indépendant. Il ne supportait pas les diverses règles et la vie de groupe. Il était très responsable et suffisamment exigeant envers lui-même. Il préférait suivre les pas de l’Eveillé en se fixant sa propre règle pour lui, sans rien imposer à personne. Il m’a rappelé quelqu’un : moi-même. Je suis incapable de vivre avec une autre personne et la vie au séminaire fut pour moi une véritable épreuve, formatrice certes, utile certes, mais pénible.

Les soucis matériels évacués, il consacrait donc sa vie à son maître dans la méditation. Des fois je me dis que le travail, la nécessité, les engagements collectifs sont des occasions de fauter, sont des attachements qui freinent ma conversion, sont des amarres qui m’empêchent de partir au large. Confiné je découvre que je prends goût à limiter les rencontres, à ne plus m’obligé à visiter telle ou telle ouvrière, à ne plus rien attendre des autres, à n’être missionnaire que pour moi-même. Pourtant, n’a-t-on pas plus de mérite à devenir saint dans le monde qu’hors du monde ? «  Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les préserver du mal.  Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde. » (Jean 17, 16).

Un missionnaire devenu évêque disait de moi que j’étais un contemplatif dans le monde. Je me verrais bien vivre loin de tout, loin des autres, en haut de ma montagne dans le détachement matériel et la contemplation. J’aime tellement la solitude. Mais je ne le ferai pas. Mon engagement auprès des ouvriers est indéfectible. Aussi grâce à l’action catholique j’ai appris à être apôtre. Et puis même si je ne réprouve pas totalement le fait de vivre de la générosité des autres d’un point de vue moral, mon éthique personnelle me l’interdit. Je dois travailler pour gagner ma subsistance. Enfin, même si j’en tirerais beaucoup de satisfaction, je ne suis pas sûr qu’il serait bon pour moi de céder à mon penchant solitaire.

Monts Boko