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Les ouvriers

L’ermite de la montagne

L’an dernier au sommet des monts Koulèn j’ai fait la connaissance d’un ermite. Conformément à son vœu et en référence à la tradition orientale il ne se coupe plus les cheveux, ne se rase plus en signe de consécration. Pour manifester son détachement de la matérialité il porte une toge mais blanche pour ne pas être confondu avec un bonze car il ne vit pas en communauté. Il porte autour du cou un chapelet bouddhique pour montrer ce qui est au centre de sa vie : la prière.

En fait il a été moine dans un monastère. Mais il est très indépendant. Il ne supportait pas les diverses règles et la vie de groupe. Il était très responsable et suffisamment exigeant envers lui-même. Il préférait suivre les pas de l’Eveillé en se fixant sa propre règle pour lui, sans rien imposer à personne. Il m’a rappelé quelqu’un : moi-même. Je suis incapable de vivre avec une autre personne et la vie au séminaire fut pour moi une véritable épreuve, formatrice certes, utile certes, mais pénible.

Les soucis matériels évacués, il consacrait donc sa vie à son maître dans la méditation. Des fois je me dis que le travail, la nécessité, les engagements collectifs sont des occasions de fauter, sont des attachements qui freinent ma conversion, sont des amarres qui m’empêchent de partir au large. Confiné je découvre que je prends goût à limiter les rencontres, à ne plus m’obligé à visiter telle ou telle ouvrière, à ne plus rien attendre des autres, à n’être missionnaire que pour moi-même. Pourtant, n’a-t-on pas plus de mérite à devenir saint dans le monde qu’hors du monde ? «  Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les préserver du mal.  Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde. » (Jean 17, 16).

Un missionnaire devenu évêque disait de moi que j’étais un contemplatif dans le monde. Je me verrais bien vivre loin de tout, loin des autres, en haut de ma montagne dans le détachement matériel et la contemplation. J’aime tellement la solitude. Mais je ne le ferai pas. Mon engagement auprès des ouvriers est indéfectible. Aussi grâce à l’action catholique j’ai appris à être apôtre. Et puis même si je ne réprouve pas totalement le fait de vivre de la générosité des autres d’un point de vue moral, mon éthique personnelle me l’interdit. Je dois travailler pour gagner ma subsistance. Enfin, même si j’en tirerais beaucoup de satisfaction, je ne suis pas sûr qu’il serait bon pour moi de céder à mon penchant solitaire.

Monts Boko

Par Yann D

Le choix de Yann DEFOND pour la vie en tant que fils d’ouvrier et chrétien est de partager l’existence des travailleurs qui habitent le plus grand quartier ouvrier du Cambodge en solidarité. Il a d’ailleurs lui-même travaillé en usine, dans l’industrie graphique, en France, son pays natal.
Son témoignage en cours d'écriture relate donc ce qu’il peut observer auprès des jeunes femmes qui cousent jour après jour bon nombre des vêtements que portent les européens. Quelques réflexions et autres notices autobiographiques agrémentent ce texte dans lequel il évite humblement d’employer le pronom personnel sujet de la première personne du singulier pour parler de lui.

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