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La cité

Léger retour en arrière

Je regrette la décision de mon ancien propriétaire de détruire mon allée dans la cité où j’ai loué un studio pour ouvrier de 2009 à 2023. Il y fait actuellement construire des compartiments commerciaux. Néanmoins elle n’a pas modifié mon projet de vie solidaire avec les travailleurs au nom de l’Evangile. Je poursuis ailleurs, à 500 mètres. 

J’ai eu 30 jours pour trouver le logement que j’occupe depuis. J’ai été sur le coup d’un studio identique au mien dans une autre cité de mon ancien propriétaire dans le même parc industriel. C’était la meilleure opportunité. L’ouvrière locataire devait quitter l’usine et s’installer dans son village d’origine avec sa famille. Il était convenu que je lui verse 300 $ pour reprendre la location. Etant donné le faible montant du loyer, j’aurais rentabilisé cet investissement en moins d’un an. Le jeu en valait la chandelle car, ailleurs, les loyers sont plus élevés et les habitations plus petites. Malheureusement, la société propriétaire a eu vent de l’affaire et a expulsé la famille prématurément. Il est légitime de la part d’un propriétaire de ne pas tolérer cette pratique. Cependant, ce genre de société ne devrait pas refuser d’établir une liste d’attente de ceux qui demandent à louer un studio…

En enquêtant, j’ai remarqué que les studios libres étaient automatiquement attribués aux employés du propriétaire. Comme j’avais repéré des studios qui se libéraient, j’avais grand espoir de pouvoir rester dans ma cité ou de pouvoir m’installer dans une autre appartenant à la même société possédant aussi le parc industriel. Finalement, je me suis retrouvé dans une autre cité ouvrière à proximité immédiate du parc industriel.

J’étais prêt à préparer une fête d’adieu presque entièrement seul. Le propriétaire était d’accord. Le Comité Vie Ouvrière du vicariat apostolique de Phnom Penh se serait chargé des photocopies. Mais le titre du livre est UNE VIE AVEC LES OUVRIERS DU CAMBODGE et non UNE VIE POUR LES OUVRIERS DU CAMBODGE alors il fallait impliquer des voisins. Même si cela aurait été plus simple, je ne voulais pas préparer une fête d’adieu à 100% par moi-même.

Finalement, même en ayant réduit la voilure (passer de l’échelle de l’allée à l’échelle du bloc) personne ne s’est dévoué pour prendre les coordonnées des voisins avec moi. J’ai même entendu dans un studio : « Nous partirons sans dire au revoir et puis c’est tout. »
C’est peut-être que mes 14 ans d’apostolat dans la cité ont partiellement été un échec. Je prends cet événement non désiré de l’expulsion comme une chance, celle de relancer mon zèle apostolique. Que l’Esprit Saint revivifie ma présence aimante au milieu des ouvriers !

Je fréquente toujours ce qui reste de cette cité et je continuerai jusqu’à sa destruction totale dans quelques années. J’y ai tellement de connaissances. Je tiens toujours mon principe de ne conserver que les relations avec réciprocité. Il y a une jeune femme qui est arrivée dans la cité un peu avant moi, toutes ses sœurs sont passées par l’usine dans le parc industriel et je suis très lié à leur famille. Je vais dans leur village tous les ans et encore avec mon frère lors du dernier nouvel an donc l’éloignement ne changera pas grand chose à notre relation.

Je fut le dernier à quitter l’allée pour voir les autres partir et les accompagner pour voir où ils allaient. Cela leur donna l’opportunité de faire subsister un lien avec moi. Mes plus proches voisins (3 studios) se retrouvent dans la même cité que moi. L’une d’entre eux m’a dévoilé : « Quand l’annonce de la destruction de notre allée fut faite, je me suis mise à pleurer. Les nuits qui suivirent, j’eus énormément de mal à trouver le sommeil. »

Que l’Esprit Saint 🕊️ aide les jeunes travailleurs de l’ex-allée T2 à donner du sens à ce que nous avons vécu ensemble malgré qu’il n’y ait pas eu de fête d’adieu.

En 2022, les membres de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne ont beaucoup vu jugé et agi autour du thème du changement. Ils en ont conclu qu’il survenait quand avec l’unité qui se construit au quotidien par des gestes d’encouragement qui témoignent que l’autre a de la valeur. Je voudrais que mes voisins comprennent cela aussi. C’est en donnant de l’importance à l’autre, en ayant conscience de sa valeur que nous édifions une société plus juste, plus digne, plus égalitaire, plus en paix.

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Le livre

Le livre (29)

La finalisation d’un manuscrit oblige à faire des choix parfois douloureux comme supprimer des paragraphes. Je vous propose donc ci-dessous un huitième et dernier passage rejeté.

Bureau de poste de Phnom Penh

La notion judéo-chrétienne de personne, comme être unique au destin singulier est étrangère au bouddhisme, religion à la doctrine cohérente s’il en est, qui ne voit en chaque être qu’un croisement temporaire de faisceaux d’énergie. Ainsi les désirs ou la volonté d’un individu comptent peu. A la fin d’un après-midi pluvieux l’agent d’accueil du bureau de poste de Phnum Pénh m’indiqua la direction du guichet qui devait être destiné au retrait d’argent transféré. Malheureusement il s’avéra très vite qui s’agissait plutôt du guichet de retrait des colis. En réalité l’agent n’avait pas écouté la question. A en juger par mon nez pointu (d’occidental) il était bien évident que le guichet qui me servirait serait celui des colis puisque seuls les nez empâtés sont destinataires de transferts d’argent. Bref, peu importait mon attente personnelle, celle qui comptait était plutôt celle de mon groupe d’appartenance comme l’agent se l’imaginait.

Extrait du manuscrit