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Synode sur la synodalité

Le pape François demande aux catholiques du monde entier de prendre du recul pour réfléchir à leur façon de faire Église. Comment la rendre plus fidèle à sa vocation de montrer à chaque humain que sa vie compte, qu’elle a un grand prix aux yeux de Dieu, qu’il lui confère une dignité indéfectible sans borne ? Il s’agit d’un travail d’introspection collective à la lumière de l’Évangile. De manière formelle, je ne suis pas investi dans le processus synodal. Voici néanmoins ma modeste contribution.

Nuit devant une usine menacée de fermeture

L’espérance d’Israël est de voir tous les hommes de la terre finalement réunis par Dieu : « Dans l’avenir, il adviendra que le mont sur lequel est le temple de l’Eternel sera fermement établi au-dessus des montagnes, et il s’élèvera par-dessus toutes les hauteurs, et les peuples y afflueront. » (Michée 4, 1). Selon l’étymologie de son nom, le diable, lui, divise. La concrétisation de cette espérance a connu une étape décisive avec la naissance de la nouvelle Israël, c’est à dire l’Église, un peuple de croyants rassemblés par la foi et non par la même appartenance ethnique. Il me semble donc que pour répondre à leur vocation, les chrétiens sont appelés par le Christ à rechercher l’inclusion.

Pour rejoindre chaque humain, l’Eglise doit ainsi toujours être « en sortie », selon l’expression propre à notre bon pape, pour parler de la Mission. Nous ne devons pas créer de ghettos mais entrer dans les ghettos. Nous ne devons pas nous détacher de l’ensemble de l’humanité, nous en désolidariser,  ni même, nous en distinguer à l’exclusion de notre choix radical de l’Évangile : « Vous n’êtes pas du monde mais je vous ai choisis du milieu du monde. » (Jean 15, 19). Dans le même sens, il me semble que nous, membres du peuple de Dieu, devrions nous délester de notre superflu, de ces règles non écrites que nous nous imposons, de ces manières d’être dictées par des normes mondaines. Nous devrions probablement nous défaire de notre surplus de décorum religieux, de style religieux, de paraître, de soucis de l’image, de ce qui nous fait être bien vus de nos frères : « Quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte. » (Matthieu 6, 6).

Les chrétiens ont des origines ethniques, sociales, culturelles variées et c’est heureux. En tant que sel de la terre et lumière du monde (Cf. Matthieu 5, 13), ils sont appelés à transformer terre et monde de l’intérieur, avec leurs frères en humanité. Ils doivent contribuer à rendre leurs cultures plus humaines. C’est ce que l’on peut appeler l’évangélisation. En revanche, ils sont dans l’erreur, d’après moi, lorsqu’ils cherchent à créer une culture chrétienne qui finalement les sépare des autres. En ce sens, la pertinence des styles musicaux religieux, du style vestimentaire religieux, du style iconographique religieux, ne me saute pas aux yeux. Souvent, les fidèles catholiques se sentent mal à l’aise avec le sacré. Cela se ressent singulièrement quand ils pénètrent dans une église ou quand ils s’approchent du cœur. Ce rapport peu assuré au sacré ne manifeste nullement la miséricorde de Dieu. Qu’est-ce que Dieu a consacré sinon la vie ?

Charles de Foucauld, Madeleine Dêlbrel, l’abbé Pierre, Gui Gilbert et d’autres sont d’authentiques prêtres ou laïques catholiques qui ont choisi de vivre radicalement l’Evangile non pas dans des lieux d’Eglise mais à proximité de ceux vers lesquels ils se sentaient envoyés. Ils n’ont pas converti grand monde et pourtant il me semble qu’ils étaient de parfaits missionnaires puisqu’ils ont rendu le monde autour d’eux plus humain. Je fais la prière qu’à l’image de leurs ministères, le synode sur la synodalité permette à notre Église de devenir plus simple, plus humble, plus proche des réalités de la terre que Dieu lui-même a fait le choix de rejoindre sans tricher en la personne de Jésus Christ.

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Chang chha

Tout début 2010, j’ai produit un clip vidéo dans lequel apparaissent deux ouvrières d’usine habitantes de notre cité : Théary et SreyMom. Il s’agissait de la parodie d’une reprise cambodgien : Want cha. Chang (ចង់) signifie vouloir et chha (ឆា) sauté (pour un plat).

Chang chha

Un après-midi du dernier trimestre 2009, alors qu’avec un collaborateur nous circulions à moto pour aller repérer un des lieux du tournage de mon clip de karaoké Chang chha (parodie d’I know you want me), un 4×4 me refusa la priorité. La chute en freinant pour ne pas lui rentrer dedans était inévitable. Comme moi, mon véhicule qui n’est pas assuré, s’en est sorti avec de mauvaises égratignures. L’automobiliste continua sa route malgré mes appels. Relever le numéro d’immatriculation de son auto était bien inutile. Mieux vaut se garder d’aller voir la police. Elle m’aurait certainement demandé de l’argent et puis comme un ami, fils de militaire me l’a expliqué : « Contre un puissant [Toyota Land Cruiser] on n’a aucune chance d’obtenir gain de cause. » « Combien de temps jugerez-vous sans justice, soutiendrez-vous la cause des impies ? » (Psaume 81, 2).

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Les voisins (11)

Mes voisins réunis le 2 septembre 2013 à l’occasion des 10 ans de mon arrivée au Cambodge. Au départ je ne devais passer que 2 ans dans ce pays d’Asie du sud-est mais l’appel de Dieu m’a convaincu d’y rester à vie.

5 juillet 2009, retour dans cette cité ouvrière enfermée entre quatre murs, un peu comme la palissade du village d’Astérix. Une visite quatre ans plus tôt m’avait marqué : « Pour des habitations destinées à des travailleurs, c’est assez spacieux. » Nous sommes un dimanche et ce n’est sans doute pas un hasard ; sur huit cent quarante-cinq studios, un seul est disponible. Non pas deux, cinq ou dix ; un seul. « Il vous précède en Galilée » (Matthieu 28, 10). D’habitude les co-locataires se renouvellent sans cesse. Ils se relaient, ce qui a pour effet de ne jamais laisser de location libre.

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Les voisins (10)

Quelques habitants de la cité originaires de la province de Prey Vèng ont posé pour le festival des jeunes travailleurs organisé par la mission ouvrière du vicariat apostolique de Phnom Penh.

Pose
Pose
Pose

Et pour terminer 2010, la fête de la Nativité de cette année-là restera particulière : deux jours dans un village de la province de Prey Vèng pour le mariage du frère de Sophéap. Autour de la cérémonie, comme à chaque fois, c’est partage de la vie simple des gens ordinaires, nuits sur des nattes et douche au puits. Il n’y avait pas d’église catholique dans ce district de Kâmchay Méa, donc pas non plus de veillée. De retour à Phnom Penh le matin de Noël, Sophéap, m’invite à une fondue chez elle le soir. Surprise ! alors que les feuilles de salade, de choux, les morceaux de viandes, les champignons, le vermicelle, etc. prenaient leur bain d’eau bouillante, un de ses amis également invité arriva. Il habitait dans l’immeuble neuf de trois étages, évidemment au toit bleu, construit juste au sud de ma cité. Mon propriétaire m’avait d’ailleurs invité à déménager là-bas pensant trouver les bons arguments pour m’éloigner des ouvriers. Ce bâtiment accueille principalement des cadres étrangers, principalement chinois, des usines du quartier dans des studios à occuper à deux avec loggia mais sans cuisine. Notre nouvel ami Jeffry travaillait dans le parc industriel au contrôle qualité d’une usine de chaussures coréenne ! Il était Indonésien et catholique. Le matin il était allé à l’église Saint Joseph à tout hasard pour la première fois. Et le curé lui avait indiqué que la messe était passée… Il vivait au Cambodge depuis six mois. Le lendemain, un dimanche nous partîmes à la messe ensemble.

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Les voisins (9)

Il existait un parc. C’était l’unique lieu de détente en plein-air pour les ouvriers du quartier. Il était situé derrière les usines du parc industriel Canadia. Le dimanche en particulier c’était l’occasion de partager du temps différemment entre voisins. Pour une somme modique on pouvait changer d’air. Les loisirs sont si rares.

Sortie
Sortie

Quelque soit la latitude, dans les milieux populaires, on se contente souvent de choses peu sophistiquées. Un dimanche Sophéap et ses voisines m’annoncèrent avec fierté que ce jour-là le grand frère d’une d’entre elles les emmenait se promener. Quand nous nous sommes revus le lendemain elles étaient euphoriques : « Yann ! hier mon grand frère nous a emmenées au marché de Tuol Tompoung et au marché de Dæm Ko ​(kapokier). Ça restera une journée inoubliable ! » Elles n’avaient rien acheté. Elles étaient simplement folles de joie d’avoir vu la ville et donc d’avoir pu sortir de notre parc industriel. Ça montre bien qu’à l’intérieur beaucoup vivent comme dans une prison. D’ailleurs nous sommes surveillés par la police. Une fois mon oreille discrète entendit : « Il a de la chance d’avoir une moto. Il peut aller où il veut… »

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Les voisins (8)

Pour être plus sûr de ne pas les perdre, on écrit les numéros de téléphone sur les murs. Et pour éviter que la lumière du Soleil pénètre à l’intérieur, on obstrue les fenêtres.

Intérieur d’un studio d’ouvrier.

Un jour, il me fallut visiter une dame de la cité. Trouver son studio fut quelque peu fastidieux et elle était absente. Alors l’idée naïve me vint de sortir mon mobile multifonctions pour prendre en photo le numéro de son studio. Malchance ! c’était juste devant chez le responsable de la sécurité. Il m’interpella :
« Que photographies-tu ?
—  Le numéro du studio, de façon à ne pas l’oublier.
— Il est interdit de prendre des photos et tu n’as pas demandé d’autorisation ! »

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Les voisins (7)

J’ai interrogé cette fille. Abandonnée par son père, elle aide sa mère en vendant des pâtisseries aux habitants de la cité après les classes.

A sa sortie de l’école elle va aider sa mère

La fille aînée de Nhan m’adopta immédiatement. Rien d’étonnant : son père était parti travailler en Thaïlande depuis presque trois mois. Il s’agit d’une réalité que de nombreuses familles dans le besoin connaissent. Lors de l’arrêt sa fille cadette qui savait à peine parler hérita d’un paquet de biscuits apéritifs. Bunnhan lui dit de partager avec un garçonnet assis en face d’elle. Et c’est ainsi que tous petits les enfants des pauvres apprennent à partager. Ceci induit un sens de la propriété différent du sens occidental de la propriété. Pour les Khmers la notion de propriété a un sens plus collectif, moins possessif et individuel.

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L’entretien en langue khmère

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Les voisins (6)

Etant donné ce que sont les conditions de travail, les salaires et la situation politique, de nombreux ouvriers cherchent à travailler à l’étranger comme cette demoiselle en partance pour la Corée du sud. Son frère est venu dans la cité pour lui dire au revoir. Depuis une dizaine d’années la république de Corée recrute en continu des travailleurs cambodgiens.

« Je voudrais qu’un jour le Cambodge connaisse la même prospérité que la [république de] Corée ! » disait une jeune Cambodgienne ayant appris la tragédie de la guerre de Corée puis le redressement du sud. Avant la tourmente, le Cambodge allait vers une meilleure répartition des richesses, vers un modèle de développement économique qui profitait à une frange plus large de la population et entraînait le développement de l’éducation, de la culture, du sport, etc. Aujourd’hui pour rattraper la Corée (où il y a aussi des laissés-pour-compte) il faudrait un changement de mentalité car la prospérité économique est une chose mais la répartition de ses fruits, la justice sociale en est une autre.

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Les voisins (5)

Quelques ouvriers ont des enfants. Comme leur salaire ne leur permet pas de faire garder leur progéniture pendant qu’ils sont à l’usine, ils les confient le plus souvent à leurs parents. Seul un très petit nombre de travailleurs habitant la cité vit avec ses enfants.

Pelleteuse

Les salaires sont extrêmement bas : le minimum garanti équivaut à 160 € par mois soit moins que le minimum vital. Pour cette raison les conditions de vie sont pénibles comme en témoigne Sophéap : « J’ai dû emprunter 20.000 riels [4 €] pour acheter une simple paire de chaussures…» Ainsi l’éditorialiste du Phnom Penh Post Ken SILVERSTEIN a pu écrire : « Les emplois dans l’industrie textile au Cambodge ne sont pas un ascenseur permettant de sortir de la pauvreté. Peu d’entre elles ont l’opportunité d’évoluer dans leur carrière, que ce soit dans l’industrie du vêtement ou à l’extérieur. » A part dans l’infime minorité d’usines qui offrent un service de garderie, ceux qui ont des enfants ne peuvent pas payer de crèche ou de nourrice pour les faire garder et doivent choisir entre enfants et travail. Et puis les Contrats à Durée Déterminée sont de plus en plus nombreux ce qui prive les travailleurs de leurs droits les plus élémentaires.

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Les voisins (4)

La cité est régulièrement inondée durant la mousson. Les studios sont construits de plain pied et régulièrement en saison des pluies nous sommes inondés parce que les canalisations sont obstruées par les ordures. Cependant les voisins gardent le sourire.

Pendant la mousson nous sommes inondés de plusieurs centimètres cinq ou six fois durant quelques heures. Dans ces cas-là le bon esprit de mes voisins m’étonne toujours. Loin de se plaindre, surtout qu’ils sont presque une dizaine de personnes dans les logements contigus au mien, ils rient de la situation en déménageant toutes leurs affaires en haut.

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Inondation
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Les voisins (3)

Les averses sont autant d’occasions de se rafraichir.

L’altérité est inscrite au plus profond de l’humain, jusque dans son corps. Sauf cas rares, nous sommes hommes ou femmes. Selon les cultures ce rapport est vécu différemment. Malheureusement l’homme est maître dans l’art de transformer différences en inégalités. Dans la culture khmère, bien qu’inégalitaires, les relations entre hommes et femmes sont intéressantes. Les règles du jeu sont clairement établies. Du coup, du moment où l’on ne va pas au delà des garde-fous, on est plus libre. Dans un contexte ordinaire, une femme peut dire à un homme qu’il lui plaît sans risque. Alors que dans la culture latine, un tel aveu est difficile à gérer car étant donné que les limites ne sont pas claires on est toujours dans des sous-entendus.

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Les voisins (2)

Avant d’entrer dans son studio, une habitation, un lieu de culte ou autre, on quitte ses chaussures.

Tongs

Le soir venu le voilà qui débarque avec un de ses hommes armé d’un AK47 hérité des soviétiques qui entra chez moi sans quitter ses chaussures, ce qui est inconvenant. Et l’agent de police en civil de la cité lui fit son rapport en utilisant, pour parler de moi, un pronom particulièrement irrespectueux. A l’intérieur la fureur bouillait en moi à cause de leur méthode d’intimidation mais comme ces gens-là ont tous les pouvoirs il ne fallait rien laisser paraître.

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