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La cité

FIN du chapitre

Au moment de mon arrivée dans la cité aux toits bleus en 2009, des voisines se disaient entre elles : « Pourquoi repeint-il ? Quand il partira, tout reviendra à un autre… »

Album photo des toits bleus (2009-2023)

En 2013, j’ai examiné le plan de développement de Phnom Penh horizon 2035. Il prévoyait que notre zone qui était extrêmement industrialisée devienne à la fois commerciale et résidentielle… Ce genre de transition urbanistique s’étale sur de nombreuses années et, de surcroît, selon le bon vouloir des divers acteurs. Il s’agissait d’une orientation de la municipalité décidée avec le soutien de la coopération française. Concrètement, nous ne savions ni comment ni quand cela allait se mettre en place.

En 2020 🚧 quand la construction du centre commercial au nord de notre cité a commencé sur l’avant-dernier terrain vague du parc industriel, une rumeur disait qu’en 2022 nous serions expulsés. Je pense que l’épidémie de corona a eu pour effet de retarder le projet.
L’an dernier, le marché en face de chez moi a brûlé. Les murs étaient pleins de suie et malgré que le marché eût 11 ans, les murs ne furent pas repeints. Je me suis dit que c’était parce que le marché était voué à une destruction proche. Pourtant, à l’intérieur, les commerces qui étaient partis en fumée furent reconstruits ! Alors j’ai douté…

Début mai, l’office a indiqué aux locataires des allées A et B qu’ils avaient jusqu’à la fin du mois pour quitter leur logement avant destruction. Alors la rumeur c’est répandue selon laquelle notre allée T2 serait vouée au même sort avec le marché en juillet…

Depuis un an, mon robinet fuit mais je ne l’ai pas changé parce qu’il avait seulement quelques années et, surtout, parce que je craignais que mon studio soit détruit… Mi-mai, le technicien est venu réparer le support du tube à néon de la salle de bain. Il m’a dit qu’il fallait le changer. Mais je n’allais pas payer un support neuf pour 2 mois… Alors j’ai opté pour une solution provisoire.

Le 18 mai dernier, j’ai constaté que des commerçants que je connaissais depuis le début étaient partis. Le même jour, comme je suis un des plus anciens locataires, la directrice de l’office m’a indiqué avant tout le monde que la société propriétaire arrêterait de nous louer nos studios dès la fin juin 😓

A la place du marché et de mon allée, se dresseront des compartiments commerciaux modernes 🏢 Pourtant seuls 19 des 40 livrés en novembre 2021 du côté du centre commercial abritent une activité commerciale. Sur les 21 autres figurent des panneaux “à louer”. En l’espace de 18 mois, deux commerces ont déjà fermé. Mais cela ne dérange pas notre propriétaire puisqu’il a vendu les 40 ! Beaucoup achètent pour mettre en location… Au Cambodge il y a foison de ce genre de compartiments. A l’inverse, il n’y a pas d’HLM et il manque de logements ouvriers.

Ce qui se passe est conforme au plan d’urbanisme de la capitale. Cependant les usines ne vont pas déménager du jour au lendemain. Cela signifie que les ouvriers vont s’éloigner des usines. Elles ne se déplaceront pas avant deux ans. La cité disparaîtra totalement à ce moment-là.

Depuis 2009, je suis attaché à cette cité et ses habitants 😪 à cause de mon projet de vie : vivre l’Evangile au milieu des ouvriers. Entre voisins nous discutons beaucoup de la destruction. Tous sont fortement attristés. D’un point de vue personnel, plusieurs solutions s’offrent à moi mais, de toute évidence, je devrai m’éloigner encore plus du centre-ville, je devrai payer plus cher ou bien me contenter d’une moindre superficie. Il me faudrait un rez-de-chaussée pour garer mes deux-roues mais c’est dur à trouver. Le seul avantage sera de ne plus subir d’inondations. J’ai 40 jours pour aviser. Je vais essayer de rester dans la même zone pour tirer avantage de mon enracinement 😰 Mon 1er choix est de rester dans la citée mais c’est impossible. Mon 2e choix est de rester dans le parc industriel ou à proximité immédiate chez le même propriétaire mais je n’ai presque plus aucun espoir. Mon 3e choix est de quitter le giron de mon propriétaire et de quitter le parc industriel en m’éloignant le moins possible. Dans tous les cas, je dois croire en la providence. Si le Christ a besoin de ma présence au milieu des travailleurs, il trouvera une solution comme il en a trouvée une inespérée quand je me suis installé dans la cité il y a 14 ans.

Dans ma mission, l’enracinement st primordial. Je pourrai m’enraciner ailleurs mais cela prend du temps. En plus, quand j’ai commencé, j’étais à peine plus âgé que les ouvrières. Aujourd’hui je suis bien plus âgé mais pas les ouvrières !Que l’Esprit saint nous aide à vivre la préférence évangélique pour les pauvres, vivons au milieu d’eux 🙏🏼 devenons l’un d’eux. Je fréquenterai toujours la cité et conserverai un lien avec certains de ceux qui auront également déménagé.

D’un point de vue collectif, chacun partira courant juin dès qu’il en aura l’opportunité car trouver un logement ouvrier relève surtout de la chance à saisir. Moi je resterai jusqu’au dernier jour quitte même à payer deux loyers en juin. J’en ai parlé avec le propriétaire et il est d’accord ; nous allons organiser comme une fête d’adieu qui donnera sens à tout ce que nous locataires des 62 studios de l’allée T2 (anciennement ក) avons vécu ensemble suivant nos dates d’arrivée depuis 2007.

Dimanche dernier, en 2023 donc, j’ai entendu des voisins dirent entre eux : « Pauvre Yann, il a repeint son studio et maintenant il va être détruit comme les autres. »

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Le livre

Un chrétien au Cambodge

Recension sur mon livre dans Témoignage, le bimestriel de l’Action Catholique Ouvrière.

Témoignage ACO n°608 de novembre 2022 à février 2023 page 12

Il a choisi de vivre dans un quartier périphérique de Phnom Penh, la capitale du Cambodge, auprès des travailleurs de l’habillement. Yann Defond, journaliste, comédien et interprète, a eu le coup de foudre pour le Cambodge lors d’un séjour en coopération. Et il a décidé d’y revenir pour s’y installer. Formé par la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, il vit son expérience comme une démarche missionnaire toute simple. « Dans ma cité ouvrière, cela signifie passer du temps ensemble. Cette gratuité est importante. Etre attentif aux autres, suivre les évolutions de chacun, écouter, encourager, valoriser, soulager. » Yann Defond porte un regard admiratif mais lucide sur sa société d’adoption. Par ce récit, il nous livre le témoignage stimulant d’un missionnaire d’aujourd’hui.

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