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Le livre (23)

La finalisation d’un manuscrit oblige à faire des choix parfois douloureux comme supprimer des paragraphes. Je vous propose donc ci-dessous un troisième passage rejeté.

Mariage de Héan

Le lendemain, un dimanche il me fallait une connexion à internet pour suivre le marathon de Paris dans lequel deux de mes partenaires sportifs cambodgiens étaient engagés en vue de se qualifier pour les jeux olympiques. Mais même dans le chef-lieu de province tout était fermé… Et pour la messe c’était trop tard. Enfin le père Gérald m’a emmené avec un groupe de jeunes au « nouveau village », c’est son nom, pour fêter la nouvelle année dans une paroisse. Nous jouâmes aux jeux populaires du nouvel an. Heureusement que l’Eglise est là pour sauvegarder les traditions qui se perdent ! Nous avons fini en dansant puis on nous déposa au village de Koh Roka (île du coq) car le lendemain une amie ouvrière s’y mariait.

Elle m’avait invité à la cérémonie dans son village natal. En 2002 le père de Héan est parti en la laissant avec sa mère, sa sœur en bas-âge et les dettes du foyer. Puisqu’elle avait presque l’âge de travailler elle partit à l’usine, à Phnum Pénh. C’étaient des noces de pauvre : approximativement 1100 €. Mais c’était un mariage d’amour, c’est beau. Et surtout Héan est une battante, une femme consciente de sa valeur. Elle était responsable de son équipe de Jeunesse Ouvrière Chrétienne.

Jusqu’au mois de mai c’est en effet la saison des cérémonies nuptiales. Elles se déroulent traditionnellement chez les parents de la mariée. Ma voisine Rann m’a convié à ses noces. Sa famille m’a demandé de faire le service ! C’était pour moi une première. Ce geste signifiait, que l’on me considérait vraiment comme un ami très proche de la famille. Durant toute la journée, Rann n’eut cesse de multiplier les contacts éphémères avec moi comme pour se rassurer : cette jeune femme aimait bien sa vie de célibataire, autonome, avec ses copines. Elle aurait volontiers attendu deux ou trois ans avant de se marier… Mais après son mariage elle ne put (voulut ?) vivre avec son mari qui travaillait pourtant également à Phnum Pénh car ils ne gagnaient pas assez pour se permettre des trajets quotidiens à moto pour aller à l’usine ! Il leur fallut quelques mois pour avoir enfin le bonheur de vivre ensemble dans le même studio… avec six autres colocataires.

Comment connaître le bonheur dans ces conditions de vie ? Pour les chrétiens, être heureux peut se résumer à faire sienne, petit à petit, la volonté de Dieu. Cette volonté qui veut notre bonheur nous la découvrons au cœur de notre vie, au cœur de ce que Madeleine Delbrêl, qui il y a plusieurs décennies, fit le choix de vivre au milieu des ouvriers dans une banlieue parisienne au nom de sa foi dans le Christ, appelait le « lieu de notre sainteté », c’est-à-dire avec les travailleurs si l’on vit au milieu d’eux. Ce bonheur de donner sa vie qui est offert à tout le monde n’empêche pas les difficultés du quotidien, ou même le malheur. Mais il permet de le surmonter dans une relative sérénité, dans la foi. Et faire confiance au Seigneur est aussi un choix. Quand le croyant quitte tout pour vivre dans la pauvreté évangélique c’est bien pour Lui ! Or Il ne peut laisser tomber celui qui se livre à Lui. Et si on a l’impression de manquer de quelque chose, alors c’est que l’on a encore des choses à apprendre. Car Dieu prodigue à ses enfants ce dont ils ont besoin.

Extrait du manuscrit

Par Yann D

Le choix de Yann DEFOND pour la vie en tant que fils d’ouvrier et chrétien est de partager l’existence des travailleurs qui habitent le plus grand quartier ouvrier du Cambodge en solidarité. Il a d’ailleurs lui-même travaillé en usine, dans l’industrie graphique, en France, son pays natal.
Son témoignage en cours d'écriture relate donc ce qu’il peut observer auprès des jeunes femmes qui cousent jour après jour bon nombre des vêtements que portent les européens. Quelques réflexions et autres notices autobiographiques agrémentent ce texte dans lequel il évite humblement d’employer le pronom personnel sujet de la première personne du singulier pour parler de lui.

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