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La vie des ouvrières du textile

Article adapté de mon livre paru dans la Revue MEP, Le Travail N°594 juillet-août 2023

LE PRINCE ET L’ARTISAN DU BOIS

Même s’il exerce en tant que journaliste et comédien, le choix de Yann Defond pour la vie en tant que fils d’ouvrier et chrétien est de partager l’existence des travailleurs qui habitent le plus grand quartier ouvrier du Cambodge en solidarité. Il a d’ailleurs lui-même travaillé en usine, dans l’industrie graphique, en France, son pays natal.

Les Cambodgiens sont très partageurs. Cette vertu est principalement celle des pauvres. Alors qu’avec une ouvrière de l’industrie de l’habillement, Bŭnnhan(1), nous allions ensemble au mariage de sa nièce dans son village de Trâpeăng Kândŏr (étang des rats), nous nous arrêtâmes à la sortie de la capitale Phnum Pénh. C’est presque traditionnel quand on retourne dans son village d’origine, tous les tăksi (du français taxi, taxi-brousse) font une pause devant une de ces immenses boulangeries pâtisseries qui bordent les routes nationales pour permettre à leurs passagers d’y acheter du pain.

La fille aînée de Bŭnnhan m’adopta immédiatement. Rien d’étonnant : son père était parti travailler en Thaïlande depuis presque trois mois. Il s’agit d’une réalité que de nombreuses familles dans le besoin connaissent. Lors de l’arrêt, sa fille cadette, qui savait à peine parler, hérita d’un paquet de biscuits apéritifs. Bŭnnhan lui dit de partager avec un garçonnet assis en face d’elle. Et c’est ainsi que, tous petits, les enfants des pauvres apprennent à partager. Ceci induit un sens de la propriété différent du sens occidental de la propriété. Pour les Khmers, la notion de propriété a un sens plus collectif, moins possessif et individuel. 

Les Européens, eux, peuvent être fiers de leur mentalité marquée par le travail comme nécessité. Ils en recueillent les fruits. Mais cet attribut culturel marque peut-être trop les identités. On se présente toujours en parlant de sa profession. Sans emploi, on se sent dévalorisé, fautif.

À l’inverse la mentalité bouddhique du petit véhicule n’est point marquée par une valeur singulière qui serait conférée à l’effort productif. Si le Christ a travaillé de ses mains, celles du Bouddha, elles, n’ont jamais ne serait-ce qu’effleuré le manche d’un marteau. À une époque où il était encore fréquent de voyager dans une benne de camionnette, nous avons crevé sur la route nationale 5 qui relie Poypêt à Phnum Pénh. Alors que les hommes s’activaient à réparer la roue, un prêtre découvrant le Cambodge me demanda : « Et lui, le bonze qui voyage avec nous, n’aidera-t-il pas ? » Le bouddhisme, à l’opposé du christianisme, appelle à se libérer des contraintes du monde et donc du travail. Les moines obtiennent leur subsistance en la mendiant.

La pensée bouddhique imprègne la mentalité khmère depuis presque mille ans. Par conséquent la culture cambodgienne n’est absolument pas marquée par le goût de l’effort au travail. Même les ouvriers ne sont pas attachés à leur usine. Le labeur n’a aucune valeur particulière. Il est rare de voir des travailleurs fiers de ce que produisent leurs mains, surtout quand ils ne sont pas à leur compte. Un dimanche avant la messe, une dame me confia : « Je cherche un emploi pour mon neveu. Il passe son temps devant la télévision et cela m’embête de le voir s’ennuyer. » Le travail n’aurait-il pour vertu que d’éviter l’oisiveté ?

Bien souvent, les jeunes ouvrières du secteur textile se sacrifient pour leur famille. Elles ne viennent pas travailler pour acquérir une autonomie et faire leur vie. Leurs parents les envoient gagner de quoi faire face aux frais de santé de l’un d’entre eux, aux frais de scolarité d’un cadet, au remboursement d’une dette ou dans le meilleur des cas pour investir dans la petite exploitation agricole. Elles sont des exemples d’abnégation, loin de l’individualisme de la mondialisation, loin du slogan français de la boisson Sprite « N’écoute que toi. »

La limite de ce comportement est que le souci de sa famille, même si au moins il est décentrement de soi, n’est pas encore le souci du bien commun – toujours à développer – auquel l’Occident doit le développement économique et social qui a fait sa force. Peut-être qu’Angkor connaissait également ces progrès parce qu’à cette époque la population avait une mentalité différente.

Les grandes constructions européennes sont dues au moins en partie au souci du bien commun : les prouesses techniques, technologiques, scientifiques ; les grandes infrastructures, le tissu industriel ; l’élaboration des systèmes éducatif, de santé publique ; les réseaux associatifs, caritatifs… Toutes ces réalisations virent le jour sur un terrain qui leur était propice.

La culture judéo-chrétienne valorise le travail. Dans la Genèse, l’œuvre créatrice de Dieu est comparable à un travail (cf. Gn 1). L’achèvement de celui-ci nécessita même un jour de repos (cf. Gn 2, 2-3). Le créateur du monde offre à l’humanité de devenir co-créatrice avec lui par son labeur. Jésus a vraisemblablement travaillé avec Joseph en tant qu’artisan du bois(2) durant de nombreuses années. Durant bien plus longtemps, à coup sûr, qu’il a arpenté les chemins de Palestine pour proclamer l’Evangile.

Gautama Siddhartha, quant à lui, est resté de longues années dans son palais du nord de l’Inde avant de devenir ermite et finalement atteindre l’éveil. Au sens productif du terme, il n’a jamais travaillé de sa vie.

On pourrait en conclure qu’à l’inverse du bouddhisme le judéo-christianisme est à l’origine d’une culture qui valorise le travail. En renversant l’équation, on pourrait plutôt penser que la foi chrétienne trouva un accueil favorable dans des régions où, historiquement, le labeur était mis en avant. Et dans le même sens, le bouddhisme théravada aurait trouvé un accueil favorable dans des régions où c’est la contemplation qui est mise en avant.

Ainsi, les uns seraient plutôt des fourmis, travailleuses mais moins ouvertes à la relation, les autres seraient des cigales, moins travailleuses mais plus ouvertes à l’autre. Comment dès lors une fourmis peut être missionnaire auprès des cigales ? Certainement en se convertissant elle-même, en prenant un soin particulier à tisser des relations, à l’image des cicadidés. Et puis en annonçant le salut de Dieu par la transmission de son goût pour l’effort, pour le don de soi aux autres.

(1)  Le système de romanisation adopté dans cet article est celui du groupe d’experts des Nations unies pour les noms géographiques, version 2.2, de janvier 2003.

(2)  Cf. Marc 6, 3. Traduction personnelle.

Texte originel de l’article
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N’ayez pas le goût des grandeurs, mais laissez-vous attirer par ce qui est simple.

(Romains 12, 16)

Une courte vidéo sur moi-même tournée à mon insu et montée d’une manière très orientée a fait plus d’un million de vues sur le réseau social TikTok. Elle déplore que je sois passé de la lumière des projecteurs à la noirceur de la misère.

https://www.tiktok.com/@skykhmer09/video/7265215266097827073?_r=1&_t=8ehIAAAjBcl&fbclid=IwAR22PpBOmr_4Z87_JDsnKZO5SvcCHbMp-crHJokVP6jJRE7WJxfcjae-EBY
Vidéo tournée à mon insu

Les commentateurs s’étonnaient de la façon dont j’étais habillé. Mais en Asie du Sud-Est, quand on sort à proximité de chez soi, on garde les habits que l’on porte chez soi.

Ils s’étonnaient que je déjeune dans un boui-boui sur le trottoir. J’aimerais déjeuner dans des restaurants gastronomiques mais, pour manger, il n’y a pas plus proche de chez moi que ce boui-boui.

Ils s’étonnaient que je marche dans la rue. Mais je ne vais tout de même pas prendre ma bicyclette pour parcourir moins de 100 mètres !

Ils s’étonnaient que je me trouve dans une zone urbaine poussiéreuse, boueuse, désordonnée, non entretenue, mal aménagée. Alors j’ai publié une vidéo expliquant mon choix de vie :

Réponse à la vidéo me montrant dans une déchéance supposée

Bref, les commentateurs s’étonnaient que l’humoriste de la télévision soit tombé dans la déchéance.

Ainsi j’ai expliqué qu’en tant que chrétien je voulais vivre au côté des gens simples, concrètement au milieu des ouvrier du secteur textile. Riche ou pauvre, en vivant proche des petits, on bâtit une paix véritable. La presse a résumé que j’aimais vivre humblement. Honnêtement, je préfèrerais vivre dans le luxe, l’opulence et le faste. Mais je pense que vivre simplement sans se séparer du peuple construit le règne de Dieu.

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Nouvelle cité, même ambition missionnaire

Pour cause de destruction, j’ai dû quitter ma cité ouvrière pour une autre. Pour autant mon désir de vivre l’Evangile au milieu des ouvriers reste inchangé.

Visite guidée de la cité

Je me souviens de la construction de cette cité ouvrière en 2016. C’était un étang dans lequel les marchands jetaient leurs déchets. L’implantation de ce marché permanent n’est pas autorisée. Il est installé sur les trottoirs et sur la chaussée. Il n’y a donc pas de collecte publique des ordures. L’étang a été remblayé par le nouveau propriétaire qui a fait construire la cité sur une partie du remblai.

Maintenant quand il pleut, la rue est inondée mais pas la cité qui est un mètre plus haut. En arrivant, j’ai restauré mon studio. En tout, j’ai percé 115 trous dans les murs 👷🏽‍♂️ Un voisin qui était déjà mon voisin dans l’autre cité a répondu à une voisine qui s’étonnait des travaux que j’entreprenais dans mon studio : « Il aime l’esthétique et la propreté. »

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Nécessité d’un renouvellement

Je choisis de voir dans ce changement forcé de cité ouvrière un appel du coude du Seigneur : « Renouvelle ton zèle apostolique auprès des ouvriers de la confection textile. »

Studio 76 avant
Studio 76 après

8 jours avant la date supposée de la destruction des studios de notre allée, j’ai fait le tour de 8 cités ouvrières et j’ai réservé le seul studio encore disponible 🏚 J’avais eu l’occasion de prendre un studio plus grand, au loyer moins élevé et neuf mais un malencontreux concours de circonstances m’a fait rater cette opportunité. J’ai donc choisi la cité du mécanicien Panha tout comme les occupants des 3 habitations voisines de la mienne dans la cité aux toits bleus ! Et au-delà d’eux, cet ensemble locatif est truffé d’anciens des toits bleus à commencer par la mandataire du propriétaire ! Je vais devoir m’acquitter d’un loyer 2 fois plus élevé mais le logement est plus lumineux.

Je me souviens de la construction de la cité ouvrière. C’était en 2016. Il y avait un étang où les commerçants du marché jetaient leurs ordures. Il a été remblayé. L’ensemble compte 71 studios contre 845 aux toits bleus. Il est située juste à l’extérieur du parc industriel. Elle le jouxte. D’entrée à entrée, elle est à 200 m de mon ancienne cité ; de studio à studio 700 m ; à vol d’oiseau 500 m.
En parlant d’animal, depuis mon nouveau chez moi, j’entends régulièrement crier un gecko. 
Comme j’ai travaillé brièvement il y a 20 ans dans la signalétique, j’ai refais mon studio en y collant du vinyle adhésif : 6 couleurs différentes en respectant une symétrie. Les salles de classe 🏫 sont souvent peintes en couleurs chatoyantes. Un homme est passé chez moi. Il voulait inscrire sa fille dans mon école…

Mon ancien studio était 1 m plus bas que le niveau de la chaussée, le nouveau est 1 m plus haut. Nous ne sommes donc jamais inondés et ça change la vie.
A moins d’1 hm, il y a un pilote avec des relais de télécommunication. Nos téléphones captent beaucoup mieux le réseau téléphonique. Ma connexion à internet est plus rapide.
Depuis plusieurs années, les vendeurs ambulants extérieurs à la cité, n’étaient plus autorisés à pénétrer dans les toits bleus. Dans ma nouvelles cités, j’en retrouve certains. Ils sont nombreux et circulent toutes la journée durant. Je n’ai quasiment plus besoin d’aller au marché.
Je ne saurais expliquer pourquoi mais que constate que la poussière s’accumule bien moins vite.
Autre mystère, il n’y a pas de service d’hygiène et pourtant les allées me paraissent plus propres !
Si je compare mon nouveau logement à l’ancien, je dispose de 2 fois plus de blocs prises interrupteur et de robinets d’eau. J’ai même un pommeau de douche et je découvre que ça me fait économiser de l’eau.

En revanche l’évacuation des toilettes est médiocre et je dois y verser plus d’eau.
La superficie est de 23,78 m2 soit 4 m2 de moins pour vivre et travailler. C’est surtout la mezzanine qui est beaucoup plus petite. L’escalier prend peu de place puisque c’est une échelle.
Le toit est plus bas d’un bon mètre. La tôle n’est pas recouverte d’isolant et la chaleur est torride 🥵 Quand il pleut, l’impacte des gouttes de pluie résonne tellement sur la tôle nue qu’il n’est pas possible de tenir une conversation avec quelqu’un à côté de soi.
Les mouches sont relativement nombreuses.
Il y a un portail d’entrée mais le propriétaire n’en fourni pas la clé. Il ne fournit pas non plus de service de gardiennage tant et si bien qu’il est impossible d’entrer ou sortir entre 22h30 et 4h sauf cas d’urgence ! Malheureusement, sortir courir n’est pas considéré comme un cas d’urgence.

Je retourne toujours dans la cité aux toits bleus de temps en temps, ne serait-ce que pour faire laver mon linge puisque qu’il n’y a pas plus proche. Mais c’est en priorité dans ma nouvelle cité que je vais m’attacher à accueillir le Règne de Dieu en exprimant à ses occupants combien ils valent. Dès que j’aurai terminé les travaux, ma priorité sera d’entretenir ou de tisser des liens avec mes anciens voisins des toits bleus, avec les autres que je connais déjà puis avec les voisins les plus proches.

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14 ans de loyer

Hier, je quittai définitivement mon studio dont les travaux de destruction débuteront aujourd’hui-même. Cette semaine, mercredi 5 juillet, ce sera le jour anniversaire de mon arrivée dans cette cité ouvrière.

168 mois de loyer

5 juillet 2009. Retour dans cette cité ouvrière enfermée entre quatre murs, un peu comme la palissade du village d’Astérix mais à plus de dix-mille kilomètres de distance. Une visite quatre ans plus tôt, dans le cadre de ma mission de volontariat, m’avait marqué. Une pensée m’avait alors traversé l’esprit : « Pour des habitations destinées à des travailleurs, c’est assez spacieux. » Nous sommes un dimanche, jour de repos et de fête pour les chrétiens. Selon moi, il ne s’agit pas un hasard. Sur huit cent quarante-cinq studios, un seul est disponible. Non pas deux, cinq ou dix ; un seul. D’habitude, les colocataires se renouvellent sans cesse. Ils se relaient, ce qui a pour effet de ne jamais laisser de location libre. Ce sera donc celui-là. Comme s’il m’attendait. « Il vous précède en Galilée. » (Matthieu 28, 10) annonçait l’ange aux femmes qui cherchaient le corps de Jésus crucifié.

Extrait du livre
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Nouveau chapitre à écrire

La décision de mon propriétaire de raser mon allée pour bâtir des compartiments commerciaux m’oblige à m’implanter dans une autre cité ouvrière pour continuer à « apporter l’espoir auprès des ouvriers » comme je le dis souvent en khmer pour résumer mon choix de vie solidaire. Je poursuivrai le plus près possible. En attendant, tous les 10 jours, un nouvel élément vient bouleverser mon orientation vers tel ou tel studio.

Allée de la cité

J’étais prêt à préparer une fête d’adieu presque entièrement seul. Le propriétaire était d’accord. Le Comité Vie Ouvrière du vicariat apostolique de Phnom Penh aurait pris à sa charge les photocopies. Cependant le titre du livre est UNE VIE AVEC LES OUVRIERS DU CAMBODGE et non UNE VIE POUR LES OUVRIERS DU CAMBODGE alors il fallait impliquer des voisins. Je ne voulais pas organiser une fête d’adieu tout seul en totalité. Cela n’aurait pas eu de sens.

Finalement, même en ayant réduit la voilure (passer de l’échelle de l’allée à l’échelle du bloc) personne ne s’est dévoué pour prendre les coordonnées des voisins avec moi. J’ai même entendu dans un studio : « Nous partirons sans dire au revoir et puis tant pis. »

C’est peut-être que mes 14 ans d’apostolat dans la cité sont partiellement un échec. Je choisis prendre cet événement de l’expulsion comme une chance, celle de relancer mon zèle apostolique. Que l’Esprit Saint revivifie ma présence aimante au milieu des ouvriers ! J’ai grand besoin de lui.

J’aurais voulu que nous organisions un événement pour nous quitter en donnant du sens à ce que nous avons vécu ensemble. Tey m’a avoué : « Quand le propriétaire nous a fait savoir qu’il arrêterait de nous louer nos studios, je me suis mise à pleurer. La nuit, je n’ai pas trouver le sommeil. » Une erreur architecturale et la mauvaise gestion collective des déchets fait que nous sommes inondés une douzaine de fois par mousson. Pourtant personne ne tient à quitter la cité. Certes les loyers sont très bon marché et les studios relativement grands. Mais il me semble que ce à quoi nous tenons tant c’est la communauté que nous avons formée au cours des années. L’ambiance est fraternelle entre voisins. Nous nous entraidons, nous échangeons au quotidien. Nous entrons chez les uns ou chez les autres sans frapper à la porte. Une grande confiance règne entre nous.

L’an dernier, les membres de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne se sont formés autour du thème du changement. Ils en ont conclu qu’il survenait lorsqu’il y avait l’unité qui se construit par des gestes d’encouragement qui témoignent que l’autre a de la valeur. Je voudrais que mes voisins comprennent cela aussi. C’est un donnant de l’importance à l’autre, en ayant conscience de sa valeur que nous édifions une société plus juste, plus digne, plus égalitaire. Je pensais que cela aurait pu passer par une fête d’adieu. J’ai tout de même créé un groupe sur le réseau social facebook pour les anciens et actuels habitants de la cité aux toits bleus. J’y partager mes photos et vidéos de la cité. J’ai invité 74 personnes concernées. 6 sont devenues membres. C’est peu mais il s’agit moins d’un refus de rester en contact que d’un défaut de maîtrise de l’outil.

Je fréquenterai toujours ce qui restera de la cité jusqu’à sa destruction totale dans quelques années. J’y ai tellement de connaissances. Il y a cette voisine, Khey, qui est arrivée dans la cité un peu avant moi, toutes ses sœurs sont passées par l’usine ici et je suis très lié à sa famille. Je vais dans son village tous les ans donc l’éloignement ne changera pas grand chose dans notre relation.

Je serai le dernier à quitter l’allée pour voir les autres partir et donc les accompagner afin de voir où ils vont. Ça leur donnera aussi l’opportunité de garder un lien avec moi parce que je ne tiens pas à entretenir des relations sans réciprocité. En tous cas, j’irai visiter au moins une fois les plus proches voisins disséminés. Sur 4 studios, 3 vont dans une cité toute proche juste à l’extérieur du parc industriel.

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FIN du chapitre

Au moment de mon arrivée dans la cité aux toits bleus en 2009, des voisines se disaient entre elles : « Pourquoi repeint-il ? Quand il partira, tout reviendra à un autre… »

Album photo des toits bleus (2009-2023)

En 2013, j’ai examiné le plan de développement de Phnom Penh horizon 2035. Il prévoyait que notre zone qui était extrêmement industrialisée devienne à la fois commerciale et résidentielle… Ce genre de transition urbanistique s’étale sur de nombreuses années et, de surcroît, selon le bon vouloir des divers acteurs. Il s’agissait d’une orientation de la municipalité décidée avec le soutien de la coopération française. Concrètement, nous ne savions ni comment ni quand cela allait se mettre en place.

En 2020 🚧 quand la construction du centre commercial au nord de notre cité a commencé sur l’avant-dernier terrain vague du parc industriel, une rumeur disait qu’en 2022 nous serions expulsés. Je pense que l’épidémie de corona a eu pour effet de retarder le projet.
L’an dernier, le marché en face de chez moi a brûlé. Les murs étaient pleins de suie et malgré que le marché eût 11 ans, les murs ne furent pas repeints. Je me suis dit que c’était parce que le marché était voué à une destruction proche. Pourtant, à l’intérieur, les commerces qui étaient partis en fumée furent reconstruits ! Alors j’ai douté…

Début mai, l’office a indiqué aux locataires des allées A et B qu’ils avaient jusqu’à la fin du mois pour quitter leur logement avant destruction. Alors la rumeur c’est répandue selon laquelle notre allée T2 serait vouée au même sort avec le marché en juillet…

Depuis un an, mon robinet fuit mais je ne l’ai pas changé parce qu’il avait seulement quelques années et, surtout, parce que je craignais que mon studio soit détruit… Mi-mai, le technicien est venu réparer le support du tube à néon de la salle de bain. Il m’a dit qu’il fallait le changer. Mais je n’allais pas payer un support neuf pour 2 mois… Alors j’ai opté pour une solution provisoire.

Le 18 mai dernier, j’ai constaté que des commerçants que je connaissais depuis le début étaient partis. Le même jour, comme je suis un des plus anciens locataires, la directrice de l’office m’a indiqué avant tout le monde que la société propriétaire arrêterait de nous louer nos studios dès la fin juin 😓

A la place du marché et de mon allée, se dresseront des compartiments commerciaux modernes 🏢 Pourtant seuls 19 des 40 livrés en novembre 2021 du côté du centre commercial abritent une activité commerciale. Sur les 21 autres figurent des panneaux “à louer”. En l’espace de 18 mois, deux commerces ont déjà fermé. Mais cela ne dérange pas notre propriétaire puisqu’il a vendu les 40 ! Beaucoup achètent pour mettre en location… Au Cambodge il y a foison de ce genre de compartiments. A l’inverse, il n’y a pas d’HLM et il manque de logements ouvriers.

Ce qui se passe est conforme au plan d’urbanisme de la capitale. Cependant les usines ne vont pas déménager du jour au lendemain. Cela signifie que les ouvriers vont s’éloigner des usines. Elles ne se déplaceront pas avant deux ans. La cité disparaîtra totalement à ce moment-là.

Depuis 2009, je suis attaché à cette cité et ses habitants 😪 à cause de mon projet de vie : vivre l’Evangile au milieu des ouvriers. Entre voisins nous discutons beaucoup de la destruction. Tous sont fortement attristés. D’un point de vue personnel, plusieurs solutions s’offrent à moi mais, de toute évidence, je devrai m’éloigner encore plus du centre-ville, je devrai payer plus cher ou bien me contenter d’une moindre superficie. Il me faudrait un rez-de-chaussée pour garer mes deux-roues mais c’est dur à trouver. Le seul avantage sera de ne plus subir d’inondations. J’ai 40 jours pour aviser. Je vais essayer de rester dans la même zone pour tirer avantage de mon enracinement 😰 Mon 1er choix est de rester dans la citée mais c’est impossible. Mon 2e choix est de rester dans le parc industriel ou à proximité immédiate chez le même propriétaire mais je n’ai presque plus aucun espoir. Mon 3e choix est de quitter le giron de mon propriétaire et de quitter le parc industriel en m’éloignant le moins possible. Dans tous les cas, je dois croire en la providence. Si le Christ a besoin de ma présence au milieu des travailleurs, il trouvera une solution comme il en a trouvée une inespérée quand je me suis installé dans la cité il y a 14 ans.

Dans ma mission, l’enracinement st primordial. Je pourrai m’enraciner ailleurs mais cela prend du temps. En plus, quand j’ai commencé, j’étais à peine plus âgé que les ouvrières. Aujourd’hui je suis bien plus âgé mais pas les ouvrières !Que l’Esprit saint nous aide à vivre la préférence évangélique pour les pauvres, vivons au milieu d’eux 🙏🏼 devenons l’un d’eux. Je fréquenterai toujours la cité et conserverai un lien avec certains de ceux qui auront également déménagé.

D’un point de vue collectif, chacun partira courant juin dès qu’il en aura l’opportunité car trouver un logement ouvrier relève surtout de la chance à saisir. Moi je resterai jusqu’au dernier jour quitte même à payer deux loyers en juin. J’en ai parlé avec le propriétaire et il est d’accord ; nous allons organiser comme une fête d’adieu qui donnera sens à tout ce que nous locataires des 62 studios de l’allée T2 (anciennement ក) avons vécu ensemble suivant nos dates d’arrivée depuis 2007.

Dimanche dernier, en 2023 donc, j’ai entendu des voisins dirent entre eux : « Pauvre Yann, il a repeint son studio et maintenant il va être détruit comme les autres. »

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Un chrétien au Cambodge

Recension sur mon livre dans Témoignage, le bimestriel de l’Action Catholique Ouvrière.

Témoignage ACO n°608 de novembre 2022 à février 2023 page 12

Il a choisi de vivre dans un quartier périphérique de Phnom Penh, la capitale du Cambodge, auprès des travailleurs de l’habillement. Yann Defond, journaliste, comédien et interprète, a eu le coup de foudre pour le Cambodge lors d’un séjour en coopération. Et il a décidé d’y revenir pour s’y installer. Formé par la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, il vit son expérience comme une démarche missionnaire toute simple. « Dans ma cité ouvrière, cela signifie passer du temps ensemble. Cette gratuité est importante. Etre attentif aux autres, suivre les évolutions de chacun, écouter, encourager, valoriser, soulager. » Yann Defond porte un regard admiratif mais lucide sur sa société d’adoption. Par ce récit, il nous livre le témoignage stimulant d’un missionnaire d’aujourd’hui.

Recension
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OFFRE EXCEPTIONNELLE !

Un Chrétien au Cambodge à 2,50 € au lieu de 15 € pour toute commande enregistrée auprès de l’auteur AVANT MISE AU PILON — le 25 mai 2023 —

Offre exceptionnelle sur Un Chrétien au Cambodge


• Offre à saisir en France métropolitaine jusqu’au 25 mai 2023.

• Commandes prises en compte à réception du paiement
CCP : DEFOND Yann 6 293 21 T Lyon
Virement : FR10 2004 1010 0706 2932 1T03 835
– Paiements en timbres postaux acceptés
Mme M. DEFOND
1, place Jules Massenet
69140 RILLIEUX-LA-PAPE

• Après retrait du livre des ventes le 1er juin 2023, possibilité sera offerte de récupérer en main propre les ouvrages commandés dans le département du Rhône. Les expéditions seront à la charge de l’acheteur.

• Les exemplaires achetés peuvent être revendus dans la limite du prix de 15 € indiqué en quatrième de couverture et sous condition que le fruit de la vente soit déclaré comme revenu.

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YANN DEFOND, UN CHRÉTIEN AU CAMBODGE

Recension sur mon livre de l’association des Amis de la Coordination Internationale des Jeunesses Ouvrières Chrétiennes.

Visuel de la publication

Yann Defond est originaire de la région de Lyon. Plus jeune, il s’est responsabilisé dans et grâce à la JOC. Depuis quinze ans, il vit à Phnom Penh, au Cambodge, où il poursuit son engagement direct auprès des jeunes du milieu ouvrier. Il a ainsi choisi de partager la vie de la population ouvrière de l’habillement au Cambodge. De formation artistique, il exerce des activités de comédien, journaliste et interprète.

Dans son deuxième livre, « Un chrétien au Cambodge », Yann nous raconte son engagement dans la cité ouvrière, les conditions de travail de certains secteurs, les luttes vécues, la qualité de missionnaire et de témoin… tout en revenant sur ses expériences et combats personnels.

Un livre riche de découvertes sur les réalités ouvrières au cœur de l’Asie, et sur l’aspect missionnaire que nous sommes tous appelés à suivre dans les pas du Christ. Une lecture passionnante pour chaque personne qui se questionne sur les aspects « ouvrier » et « chrétien » de la JOC, et sur comment ce mouvement peut faire sens, même de l’autre côté du globe.

Clémence OTEKPO, présidente de la CIJOC
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CAMBODGE – LIVRE : Aux cotés des ouvrières du textile à Phnom Penh

Recension sur mon livre sur le site d’information Gavroche.

Site internet de Gavroche Thaïlande

C’est un livre rare que Gavroche a reçu par la poste à notre siège de Bangkok. Merci à son auteur, Yann Defond. Oui, ce livre est rare, car il raconte ce que vous, nous, bref, les observateurs et les journalistes ne font que côtoyer: la réalité de tous les jours du petit peuple cambodgien, celui des ouvriers et ouvrières des usines textiles de Phnom Penh.

L’auteur est un chrétien engagé. Il ne s’en cache pas, bien au contraire. Il en fait l’instrument de sa découverte et de sa curiosité. Il veut savoir, comprendre, partager. Son récit des relations entre ces ouvrières, locataires d’un studio dans les dortoirs pour employés, avec leurs propriétaires, est éloquent. Il dit tout de la société cambodgienne où la question de classes, mêlée à l’appât du gain, influence tout. Il y a beaucoup d’humanité dans ce témoignage, parce qu’il refuse les caricatures. Il n’y a pas de bons et de méchants. Les propriétaires d’usines font d’une certaine manière leur devoir. Les ouvrières s’acquittent de leur tâche. Le tout, rythmé par une langue cambodgienne remplie de mots issus du français que Yann Defond aime mettre entre parenthèses.

Il n’est pas étonnant que ce livre ait été préfacé par François Ponchaud, le missionnaire qui révéla au monde le génocide des Khmers Rouges. C’est sur cette humanité-là, celle de la solidarité, que Ponchaud a bâti sa vie aux côtés des Cambodgiens. Yann Defond poursuit son œuvre. Et c’est, pour ce pays, une excellente nouvelle.

Article de Gavroche
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Le livre (27)

La finalisation d’un manuscrit oblige à faire des choix parfois douloureux comme supprimer des paragraphes. Je vous propose donc ci-dessous un sixième passage rejeté.

Plateau de l’émission Poste 21

Le problème de l’interview était qu’il s’agissait d’une émission d’une heure animée par une des dirigeantes de la chaîne plutôt de mauvais poil, ce qui est compréhensible quand on en arrive au quatrième et dernier enregistrement de la journée. De nombreux Cambodgiens sont maîtres en cet art de masquer leur humeur, ce qui est loin d’être un défaut. Mais quand on a appris à discerner ce qui se cache derrière les regards, les attitudes, les gestes on peut comprendre beaucoup de choses.

Si vous aimez arriver quelque part en commençant par détendre l’atmosphère en lançant une ou deux plaisanteries, ne le faites pas devant une dame de la haute société qui tient à avoir le rôle de la plus importante vedette dans – son – émission. Il s’agissait pour la présentatrice d’affirmer sa suprématie, sa place dans la hiérarchie de la chaîne et son rang social. Ainsi elle me posa des questions devant les caméras qui n’avaient pour autre but que de me rabaisser, de me ridiculiser, ce qui n’est absolument pas dans les mœurs khmères. Quand on est humoriste on se moque bien du ridicule puisqu’on sait rire de soi-même et donc qu’on restera à peu près à l’aise en toute circonstance. Mais mon tord avait été de ne pas adopter une attitude de soumission.

Extrait du manuscrit