Il y avait donc un plan simple mais il n’était marqué par aucune division dans le texte. Asie mission le publia en dégageant des chapitres. De fait, l’organisation en trois parties, voir, juger et agir, était artificielle. Elle ne faisait pas réellement sens car certains passages intégraient en eux-mêmes ces trois éléments. J’ai donc chamboulé une seconde fois mon manuscrit en opérant des regroupements par thèmes. Certains reprenaient d’ailleurs le découpage d’Asie mission.
Concrètement dans ma cité ouvrière cela signifie passer du temps ensemble. Cette gratuité est importante, être attentif aux autres, suivre les évolutions de chacun, écouter, encourager, valoriser, soulager ; bref, partager les joies et les tristesses, relire ces relations et les porter dans la prière, les offrir à Dieu n’est pas un métier, travailler à son compte comme artiste n’a rien à voir. Il s’agit plutôt d’une vie, car l’enjeu est plus de l’ordre de l’être que du faire. Chaque personne est unique et ma proximité avec les autres habitants du parc industriel varie en fonction de chacun. Beaucoup m’invitent dans leur village d’origine pour des mariages ou fêtes diverses, pour des célébrations bouddhiques. Inversement ce sont parfois les familles de la campagne qui viennent visiter les citadins, alors nous échangeons des nouvelles. Des amitiés réciproques naissent. Le lien se construit notamment en montrant à l’autre qu’il a du prix, qu’il est important, alors que tout autour de lui, à l’usine, dans la ville, porte à penser le contraire. Lui montrer très concrètement qu’il compte est sans doute le principal dans cette option radicale des chrétiens qui vivent parmi les petits. Celui qui croit en sa dignité gagne en assurance en lui, prend sa vie en main, se met debout, devient responsable, s’épanouit, se libère. Se consacrer à cette tâche est fort exigeant car oblige à prendre en compte ses voisins dans chaque geste, bien au-delà du seul relationnel : propreté et occupation de l’espace autour de chez soi, activité et bruit en fonction des horaires de chacun, etc. Et puis cela oblige également à faire preuve d’indulgence envers ceux qui ne font pas ce choix car on s’écarte soi-même parfois de sa propre règle. En somme mes voisins œuvrent à ma conversion. Mon habitude était de balayer mon studio de l’arrière vers l’avant jusqu’à ce que Sophéap me fasse remarquer qu’à cause du vent la poussière se retrouvait chez les autres. Ce jour-là elle me fit comprendre que dans l’intérêt de tous il valait mieux passer le balai en commençant par l’avant, puisque derrière nos habitations une rigole est disposée à accueillir les balayures. Il en va ainsi du témoignage en actes. Il est l’adoption d’une façon de penser, d’une façon d’être évangélisées.
Extrait du livre