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De la vocation chrétienne

Il en va de la vocation chrétienne comme de la théorie de l’évolution de C. Darwin. Ce n’est pas le besoin qui crée l’organe mais l’organe qui accomplit sa fonction selon l’environnement. Ainsi, répondre à sa vocation consiste à trouver l’environnement dans lequel ses charismes peuvent au mieux s’épanouir.

En effet cette unité n’est pas de l’ordre du faire ou de l’avoir. Elle est de l’ordre de l’être. Et elle se reçoit. On ne la trouve pas seulement en soi-même. Cette unité est communion solide avec la transcendance.

Extrait du livre
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La vie des ouvrières du textile

Article adapté de mon livre paru dans la Revue MEP, Le Travail N°594 juillet-août 2023

LE PRINCE ET L’ARTISAN DU BOIS

Même s’il exerce en tant que journaliste et comédien, le choix de Yann Defond pour la vie en tant que fils d’ouvrier et chrétien est de partager l’existence des travailleurs qui habitent le plus grand quartier ouvrier du Cambodge en solidarité. Il a d’ailleurs lui-même travaillé en usine, dans l’industrie graphique, en France, son pays natal.

Les Cambodgiens sont très partageurs. Cette vertu est principalement celle des pauvres. Alors qu’avec une ouvrière de l’industrie de l’habillement, Bŭnnhan(1), nous allions ensemble au mariage de sa nièce dans son village de Trâpeăng Kândŏr (étang des rats), nous nous arrêtâmes à la sortie de la capitale Phnum Pénh. C’est presque traditionnel quand on retourne dans son village d’origine, tous les tăksi (du français taxi, taxi-brousse) font une pause devant une de ces immenses boulangeries pâtisseries qui bordent les routes nationales pour permettre à leurs passagers d’y acheter du pain.

La fille aînée de Bŭnnhan m’adopta immédiatement. Rien d’étonnant : son père était parti travailler en Thaïlande depuis presque trois mois. Il s’agit d’une réalité que de nombreuses familles dans le besoin connaissent. Lors de l’arrêt, sa fille cadette, qui savait à peine parler, hérita d’un paquet de biscuits apéritifs. Bŭnnhan lui dit de partager avec un garçonnet assis en face d’elle. Et c’est ainsi que, tous petits, les enfants des pauvres apprennent à partager. Ceci induit un sens de la propriété différent du sens occidental de la propriété. Pour les Khmers, la notion de propriété a un sens plus collectif, moins possessif et individuel. 

Les Européens, eux, peuvent être fiers de leur mentalité marquée par le travail comme nécessité. Ils en recueillent les fruits. Mais cet attribut culturel marque peut-être trop les identités. On se présente toujours en parlant de sa profession. Sans emploi, on se sent dévalorisé, fautif.

À l’inverse la mentalité bouddhique du petit véhicule n’est point marquée par une valeur singulière qui serait conférée à l’effort productif. Si le Christ a travaillé de ses mains, celles du Bouddha, elles, n’ont jamais ne serait-ce qu’effleuré le manche d’un marteau. À une époque où il était encore fréquent de voyager dans une benne de camionnette, nous avons crevé sur la route nationale 5 qui relie Poypêt à Phnum Pénh. Alors que les hommes s’activaient à réparer la roue, un prêtre découvrant le Cambodge me demanda : « Et lui, le bonze qui voyage avec nous, n’aidera-t-il pas ? » Le bouddhisme, à l’opposé du christianisme, appelle à se libérer des contraintes du monde et donc du travail. Les moines obtiennent leur subsistance en la mendiant.

La pensée bouddhique imprègne la mentalité khmère depuis presque mille ans. Par conséquent la culture cambodgienne n’est absolument pas marquée par le goût de l’effort au travail. Même les ouvriers ne sont pas attachés à leur usine. Le labeur n’a aucune valeur particulière. Il est rare de voir des travailleurs fiers de ce que produisent leurs mains, surtout quand ils ne sont pas à leur compte. Un dimanche avant la messe, une dame me confia : « Je cherche un emploi pour mon neveu. Il passe son temps devant la télévision et cela m’embête de le voir s’ennuyer. » Le travail n’aurait-il pour vertu que d’éviter l’oisiveté ?

Bien souvent, les jeunes ouvrières du secteur textile se sacrifient pour leur famille. Elles ne viennent pas travailler pour acquérir une autonomie et faire leur vie. Leurs parents les envoient gagner de quoi faire face aux frais de santé de l’un d’entre eux, aux frais de scolarité d’un cadet, au remboursement d’une dette ou dans le meilleur des cas pour investir dans la petite exploitation agricole. Elles sont des exemples d’abnégation, loin de l’individualisme de la mondialisation, loin du slogan français de la boisson Sprite « N’écoute que toi. »

La limite de ce comportement est que le souci de sa famille, même si au moins il est décentrement de soi, n’est pas encore le souci du bien commun – toujours à développer – auquel l’Occident doit le développement économique et social qui a fait sa force. Peut-être qu’Angkor connaissait également ces progrès parce qu’à cette époque la population avait une mentalité différente.

Les grandes constructions européennes sont dues au moins en partie au souci du bien commun : les prouesses techniques, technologiques, scientifiques ; les grandes infrastructures, le tissu industriel ; l’élaboration des systèmes éducatif, de santé publique ; les réseaux associatifs, caritatifs… Toutes ces réalisations virent le jour sur un terrain qui leur était propice.

La culture judéo-chrétienne valorise le travail. Dans la Genèse, l’œuvre créatrice de Dieu est comparable à un travail (cf. Gn 1). L’achèvement de celui-ci nécessita même un jour de repos (cf. Gn 2, 2-3). Le créateur du monde offre à l’humanité de devenir co-créatrice avec lui par son labeur. Jésus a vraisemblablement travaillé avec Joseph en tant qu’artisan du bois(2) durant de nombreuses années. Durant bien plus longtemps, à coup sûr, qu’il a arpenté les chemins de Palestine pour proclamer l’Evangile.

Gautama Siddhartha, quant à lui, est resté de longues années dans son palais du nord de l’Inde avant de devenir ermite et finalement atteindre l’éveil. Au sens productif du terme, il n’a jamais travaillé de sa vie.

On pourrait en conclure qu’à l’inverse du bouddhisme le judéo-christianisme est à l’origine d’une culture qui valorise le travail. En renversant l’équation, on pourrait plutôt penser que la foi chrétienne trouva un accueil favorable dans des régions où, historiquement, le labeur était mis en avant. Et dans le même sens, le bouddhisme théravada aurait trouvé un accueil favorable dans des régions où c’est la contemplation qui est mise en avant.

Ainsi, les uns seraient plutôt des fourmis, travailleuses mais moins ouvertes à la relation, les autres seraient des cigales, moins travailleuses mais plus ouvertes à l’autre. Comment dès lors une fourmis peut être missionnaire auprès des cigales ? Certainement en se convertissant elle-même, en prenant un soin particulier à tisser des relations, à l’image des cicadidés. Et puis en annonçant le salut de Dieu par la transmission de son goût pour l’effort, pour le don de soi aux autres.

(1)  Le système de romanisation adopté dans cet article est celui du groupe d’experts des Nations unies pour les noms géographiques, version 2.2, de janvier 2003.

(2)  Cf. Marc 6, 3. Traduction personnelle.

Texte originel de l’article
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N’ayez pas le goût des grandeurs, mais laissez-vous attirer par ce qui est simple.

(Romains 12, 16)

Une courte vidéo sur moi-même tournée à mon insu et montée d’une manière très orientée a fait plus d’un million de vues sur le réseau social TikTok. Elle déplore que je sois passé de la lumière des projecteurs à la noirceur de la misère.

https://www.tiktok.com/@skykhmer09/video/7265215266097827073?_r=1&_t=8ehIAAAjBcl&fbclid=IwAR22PpBOmr_4Z87_JDsnKZO5SvcCHbMp-crHJokVP6jJRE7WJxfcjae-EBY
Vidéo tournée à mon insu

Les commentateurs s’étonnaient de la façon dont j’étais habillé. Mais en Asie du Sud-Est, quand on sort à proximité de chez soi, on garde les habits que l’on porte chez soi.

Ils s’étonnaient que je déjeune dans un boui-boui sur le trottoir. J’aimerais déjeuner dans des restaurants gastronomiques mais, pour manger, il n’y a pas plus proche de chez moi que ce boui-boui.

Ils s’étonnaient que je marche dans la rue. Mais je ne vais tout de même pas prendre ma bicyclette pour parcourir moins de 100 mètres !

Ils s’étonnaient que je me trouve dans une zone urbaine poussiéreuse, boueuse, désordonnée, non entretenue, mal aménagée. Alors j’ai publié une vidéo expliquant mon choix de vie :

Réponse à la vidéo me montrant dans une déchéance supposée

Bref, les commentateurs s’étonnaient que l’humoriste de la télévision soit tombé dans la déchéance.

Ainsi j’ai expliqué qu’en tant que chrétien je voulais vivre au côté des gens simples, concrètement au milieu des ouvrier du secteur textile. Riche ou pauvre, en vivant proche des petits, on bâtit une paix véritable. La presse a résumé que j’aimais vivre humblement. Honnêtement, je préfèrerais vivre dans le luxe, l’opulence et le faste. Mais je pense que vivre simplement sans se séparer du peuple construit le règne de Dieu.

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Nouvelle cité, même ambition missionnaire

Pour cause de destruction, j’ai dû quitter ma cité ouvrière pour une autre. Pour autant mon désir de vivre l’Evangile au milieu des ouvriers reste inchangé.

Visite guidée de la cité

Je me souviens de la construction de cette cité ouvrière en 2016. C’était un étang dans lequel les marchands jetaient leurs déchets. L’implantation de ce marché permanent n’est pas autorisée. Il est installé sur les trottoirs et sur la chaussée. Il n’y a donc pas de collecte publique des ordures. L’étang a été remblayé par le nouveau propriétaire qui a fait construire la cité sur une partie du remblai.

Maintenant quand il pleut, la rue est inondée mais pas la cité qui est un mètre plus haut. En arrivant, j’ai restauré mon studio. En tout, j’ai percé 115 trous dans les murs 👷🏽‍♂️ Un voisin qui était déjà mon voisin dans l’autre cité a répondu à une voisine qui s’étonnait des travaux que j’entreprenais dans mon studio : « Il aime l’esthétique et la propreté. »

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L'installation Le livre

AsseZoné #209 été 2022

La Jeunesse Ouvrière Chrétienne de France recommande mon livre dans son périodique.

AsseZoné #209 été 2022

Ce livre est un témoignage extraordinaire à plusieurs égards. D’abord, il raconte la face cachée de l’Asie, un continent qui fascine les Européens pour ses coutumes, sa spirituali- té et sa destination touristique, mais qui est aussi l’usine du monde. C’est aussi l’illustration d’une manière d’être chrétien dans le monde, l’humilité, la prudence et le don de sa vie. Comment le Saint-Esprit agit-il parmi les millions de travailleurs qui produisent des vêtements vendus en Occident au détriment de leur santé ?

Extrait de la recension

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L’installation (8)

Pour donner une idée de ce à quoi ressemble ma cité, dès 2009, j’ai réalisé une courte vidéo.

Visite guidée

Pourtant cette cité bâtie de plain-pied d’a minima quatre mille personnes dispose d’un gardien à chacune des trois portes qui donnent sur la rue. Deux autres offrent un accès direct à des usines d’habillement. Et enfin, les deux dernières portes ouvrent directement sur le marché. Le propriétaire n’est autre que celui de l’usine de métallurgie de transformation adjacente mais pour y résider, nul besoin d’être membre de son personnel. Cependant ce dernier assura lui-même la construction des studios grâce aux matériaux produits en interne : poutres métalliques, tôle, portes, volets, grilles, escaliers.

Extrait du livre
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L’installation (7)

 Au contact des Cambodgiens j’apprends :

  • à me réjouir de choses simples du quotidien ;
  • à donner de l’importance à la rencontre, à la relation ; 
  • à habiter le présent, à le savourer ;
  • à être plus Marie que Marthe ;
  • à ne pas être trop dans l’exigence, jusqu’à en oublier l’indulgence ; 
  • à aller au-delà de la colère ou autre sentiment destructeur fugace ; 
  • à donner plus d’importance à la façon dont ce que je dis sera pris qu’à la façon dont je voudrais l’exprimer ;
  • à ne pas faire de procès d’intention, à être bienveillant à l’égard de mon prochain.
Festival des jeunes travailleurs

Le Service de Coopération au Développement, qui avait reçu ma candidature pour le volontariat international, ne m’avait proposé qu’une seule mission : « Vous êtes graphiste ? s’était inquiétée la coordinatrice. Il ne sera pas aisé de vous trouver un poste. » Le Centre Culturel Catholique Cambodgien cherchait une personne capable de former un de ses employés à la mise en page des livres. On me proposa d’être cette personne. Cependant, arrivé en Asie du Sud-Est, ma surprise fut grande de constater que quelqu’un occupait déjà cette fonction… L’appel était probablement ailleurs. Connaissant mon parcours, le vicaire apostolique de Phnom Penh m’incita à m’intéresser à la situation des ouvriers de l’habillement qui formaient une population encore nouvelle. La fille de la famille qui m’accueillait travaillait à l’usine. Elle me fit rencontrer de nombreuses collègues pour des temps de partage sur leur vie. Finalement au bout de deux ans, cette dernière mission m’occupait à temps plein mais la durée prévue par mon contrat de volontariat était atteinte, il me fallait faire le chemin en sens inverse. Or mon sentiment était de ne pas être allé assez loin. L’expérience de tout avoir à apprendre, comme un enfant, avait été trop courte. Je n’étais pas encore un homme !

Extrait du livre
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L’installation (6)

Les 10 ans, jour pour jour, de mon arrivée au Cambodge fêtés avec de jeunes travailleurs dans le studio jaune de la cité aux toits bleus.

10 ans au Cambodge

Dix ans après son approbation jour pour jour, lors de la fête organisée pour marquer cet anniversaire, une voisine me fit une révélation. « Quand tu es arrivé, la police m’a demandé de collecter un maximum d’informations sur toi parce qu’elle te soupçonnait d’être un trafiquant de drogue. » Elle aurait évidemment été moins coopérative si la police lui avait expliqué qu’elle soupçonnait le locataire du studio adjacent au sien d’être un ami des ouvriers. Ainsi les premiers mois on me suivait, on m’espionnait, on enquêtait sur moi.

Extrait du livre
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L’installation (5)

Un nouveau marché ayant été bâti l’ancien fut converti en logements pour que de nouveaux ouvriers s’installent. Le nombre de studio atteint donc 845, ce qui fait de cette cité ouvrière la plus grande du pays.

Marché converti en logements
Marché converti en logements
Marché converti en logements

Il s’agit donc d’une pratique d’un autre âge. Et pourtant on a bien vu dans notre cité la police placer à la vue de tous une jeune femme accusée de vol puis lui faire faire le tour du marché avec tintamarre et carton noué autour du cou sur lequel on pouvait lire « ចោរ » [cao:], c’est à dire voleuse, en dessous de son nom.

Extrait du livre
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L’installation (4)

Installation du nouveau marché de la cité. Un parc industriel qui accueille des logements pour ouvriers doit nécessairement fournir également l’accès à un marché.

Nouveau marché
Nouveau marché
Nouveau marché
Nouveau marché

Pourtant cette cité bâtie de plain pied d’à minima quatre mille personnes dispose d’un gardien à chacune des trois portes qui donnent sur la rue. Deux autres offrent un accès direct à des usines d’habillement. Et enfin les deux dernières portes ouvrent directement sur le marché. Le propriétaire n’est autre que celui de l’usine de métallurgie de transformation adjacente dont le personnel assura lui-même la construction des studios grâce aux matériaux produits en interne : poutres métalliques, tôle, portes, volets, grilles, escaliers.

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Construction du nouveau marché
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L’installation (3)

avant / après

avant / après

Les couleurs étaient vives ce qui enthousiasmait les voisins. Cependant, en même temps, ils se demandaient « A quoi cela sert-il de tout repeindre ? Il n’est pas le propriétaire et quand il partira tout reviendra à un autre. » Mais pourquoi partir ? C’est pour la vie…

Extrait du livre
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L’installation (2)

Je ne suis pas fils de peintre en bâtiment pour rien !

Après la peinture.
Après la peinture.
Après la peinture.
Après la peinture.

A l’office personne ne trouve la clé du ក-47 (le ក [kɒ:] est la première lettre de l’alphabet khmer et désigne ici l’allée). Par chance les volets sont restés ouverts alors avec Sophéap et son amie ouvrière d’une usine d’habillement comme elle, nous regardons à l’intérieur. Quoi qu’il en soit toutes les habitations de la cité sont identiques. La saleté imprègne les murs. Qu’à cela ne tienne, mon père était peintre en bâtiment alors, refaire toute la peinture ne m’effraie guère. « Dès que vous paierez la caution nous retrouverons les clés. »

Extrait du livre