Yann DEFOND est un immigré français vivant à Phnom Penh depuis 20 ans. […] Il a choisi de partager la vie de la population ouvrière de l’habillement au Cambodge. De formation artistique, il exerce des activités de comédien, journaliste et interprète.
Une activité commerciale se développe autour de la masse des ouvriers. Cette dame marchait plusieurs kilomètres par jour pour vendre sa production.
Pourtant cette cité bâtie de plain pied d’à minima quatre mille habitants dispose d’un gardien à chacune des trois portes qui donnent sur la rue. Deux autres offrent un accès direct à des usines d’habillement. Et enfin les deux dernières portes ouvrent directement sur le marché. Le propriétaire n’est autre que celui de l’usine de métallurgie de transformation adjacente dont le personnel assura lui-même la construction des studios grâce aux matériaux produits en interne : poutres métalliques, tôle, portes, volets, grilles, escaliers.
J’ai donc commencé à collecter des textes éparses écrits à différents interlocuteurs. J’ai aussi, bien entendu, continué à écrire en développant ainsi le corpus. Au bout d’un ou deux an un manuscrit prenait forme. Cependant, il était composé de paragraphes disparates sans lien entre eux.
Vivre dans une cité ouvrière d’Asie du sud-est c’est entendre les pas des ouvrières sur la dalle de béton devant chez soi à heures fixes. L’arrière de leurs tongs s’use très vite car elles marchent sans les faire claquer sur le talon. Habiter ici c’est vivre au rythme des usines d’habillement même sans jamais y mettre les pieds. Cet inconvénient, qui fait une grande différence, induit la nécessité de se laisser adopter.
Les averses sont autant d’occasions de se rafraichir.
L’altérité est inscrite au plus profond de l’humain, jusque dans son corps. Sauf cas rares, nous sommes hommes ou femmes. Selon les cultures ce rapport est vécu différemment. Malheureusement l’homme est maître dans l’art de transformer différences en inégalités. Dans la culture khmère, bien qu’inégalitaires, les relations entre hommes et femmes sont intéressantes. Les règles du jeu sont clairement établies. Du coup, du moment où l’on ne va pas au delà des garde-fous, on est plus libre. Dans un contexte ordinaire, une femme peut dire à un homme qu’il lui plaît sans risque. Alors que dans la culture latine, un tel aveu est difficile à gérer car étant donné que les limites ne sont pas claires on est toujours dans des sous-entendus.
La préface du livre est signée du Père François PONCHAUD, prêtre franco-cambodgien des Missions Etrangères, auteur de nombreux ouvrages sur le Cambodge dont Cambodge année zéro. Julliard. 1977.
Il pourrait ressembler à ça
Que faire pour la transformation spirituelle, ou la transformation tout court, du Cambodge, quand on n’est ni prêtre, ni religieux, mais simplement travailleur chrétien ? Yann Defond nous aide profondément à envisager le Christ pauvre, méprisé, vivant au milieu des travailleurs et des travailleuses cambodgiennes. Il invite toute personne à devenir un être digne, libre, fils et fille de Dieu. Yann ne prêche pas, mais vit avec, employé lui-même dans divers métiers, mais en symbiose avec ceux qui l’embauchent ou ceux qu’il embauche. Depuis que je l’ai reçu au Cambodge, en 2003, l’auteur de ce livre a beaucoup analysé la société et la mentalité khmères, et a découvert une partie de ce qui l’enferme : la domination du pouvoir quel qu’il soit, la peur, la soumission aux traditions, aux Anciens, au qu’en-dira-t-on, au mensonge, à la corruption, à la censure… Dans cette société fondamentalement injuste, les forts, les puissants ont toujours raison, les pauvres ont toujours tort. Yann nous rappelle que nous ne sommes pas au service des gens de pouvoir, mais bien de la dignité des hommes et des femmes que nous sommes. C’est une libération encore plus intime et plus profonde que celles de la répression des décennies précédentes, car elle touche le coeur des êtres. Rien dans la formation intellectuelle ou spirituelle passée n’a préparé une telle révolution des esprits et des coeurs.
La lecture de cette ouvrage est rafraîchissante : elle nous aide à voir avec un autre regard ce monde des cités, cette exploitation des pauvres sans recours. Yann aurait pu crier, élever la voix contre tel ou tel dirigeant d’usine, ou dirigeant politique, mais il as préféré une analyse froide, non dépourvue de critiques cinglantes contre les autorités, et contre les pays qui profitent de l’exploitation des pauvres et des injustices sur le plan international.
Yann rejoint par ce livre cette immense aspiration à la justice poussée par le monde des pauvres. Un peu partout, à travers le monde, les libérateurs ont imposé une indépendance politique, le plus souvent au profit d’un petit nombre de gens placés aux postes de commande. La révolution mondiale aura lieu quand tout le monde sentira que le fruit du travail est pour tous et que nous sommes au service des uns des autres.
On se sent honteux de vivre en dehors de la société des pauvres. La Bonne nouvelle n’a jamais été une idéologie, mais avant tout une expérience vécue et une conviction intérieure qui transforme le monde. Yann nous détache de toute forme d’adhésion au Christ éthéré, et nous tourne vers un Christ vivant, humble, travaillant et souffrant, loin de cette Eglise parfois si lointaine… « Le Christ est venu vivre au milieu de nous pour nous montrer de façon radicale l’amour de Dieu pour les petits. »
Avant d’entrer dans son studio, une habitation, un lieu de culte ou autre, on quitte ses chaussures.
Tongs
Le soir venu le voilà qui débarque avec un de ses hommes armé d’un AK47 hérité des soviétiques qui entra chez moi sans quitter ses chaussures, ce qui est inconvenant. Et l’agent de police en civil de la cité lui fit son rapport en utilisant, pour parler de moi, un pronom particulièrement irrespectueux. A l’intérieur la fureur bouillait en moi à cause de leur méthode d’intimidation mais comme ces gens-là ont tous les pouvoirs il ne fallait rien laisser paraître.
Entre notre cité et l’usine Suntex il y avait un terrain vague où quotidiennement venait brouter un troupeau de buffles.
Ville ou campagne ?Ville ou campagne ?Ville ou campagne ?
Le quartier très industriel de Chaomchao est situé dans le sud-ouest de Phnom Penh. C’est lui qui, dès 1997, accueillit les premières usines d’habillement du Cambodge. A l’heure actuelle y travaillent certainement des centaines de milliers d’ouvriers, ce qui est considérable à l’échelle du pays. Et sa population augmente sans cesse à mesure que de nouvelles usines ouvrent leurs portes. Les rizières reculent, les buffles s’approchent de moins en moins près. Seules quelques vaches bossues se réjouissent de l’avancée de la ville puisqu’elles y dénichent des ordures à l’odeur alléchante.
Mais l’auteur contacté m’a dit : » C’est à toi d’écrire ce livre, tu peux le faire. » Après avoir pensé que je n’y parviendrais pas, sur son conseil, j’ai commencé à regrouper des réflexions et prières écrites dès 2009.
Le 4ème de couverture pourrait ressembler à cela.
Yann DEFOND vit depuis 2009 dans la plus grande cité ouvrière du Royaume du Cambodge située dans un parc industriel de la périphérie de la capitale Phnom Penh. Son choix pour la vie en tant que fils d’ouvrier et chrétien est de partager l’existence des travailleurs qui habitent ce quartier en solidarité. Il a d’ailleurs lui-même été ouvrier dans l’industrie graphique en France, son pays natal. Ce témoignage relate donc ce qu’il peut observer auprès des jeunes femmes qui cousent jour après jour bon nombre des vêtements que portent les européens. Quelques réflexions et autres notices autobiographiques agrémentent ce texte dans lequel il évite d’employer le pronom personnel sujet de la première personne du singulier pour parler de lui.
Laver son linge à la main prend beaucoup de temps. C’est principalement le dimanche que l’on accomplit cette tâche.
Etendage
Naturellement, donne-t-on de l’importance à la vie ? Cela doit passer par des choses très simples. Un beau jour il m’est devenu impossible de trouver ma voisine Khèm derrière chez moi. Nous nous rencontrions pourtant régulièrement puisque seule l’étroitesse d’une coursive sépare la façade arrière de nos studios. Comme les portes de derrière donnent l’une sur l’autre nous faisions régulièrement notre vaisselle, notre linge l’un en face de l’autre. Pourtant elle avait déménagé sans rien dire… Dans notre quotidien quels gestes ordinaires pouvons-nous adopter pour manifester aux autres la valeur qu’ils ont pour nous ?
L’auteur que j’avais espéré recruter ne se voyait donc pas revenir au Cambodge pour écrire. Cependant il m’a encouragé à écrire moi-même. Sur le coup je me suis dit qu’il fallait abandonner cette idée de livre. C’était en 2010.
Il pourrait ressembler à cela
Un matin quel ne fut pas mon étonnement de voir une de mes voisines, Eang, rentrer avant 11 heures, l’heure habituelle de la pause déjeuner. « Demain je retourne dans mon district [chez mes parents]. » Elle n’était pas embauchée en CDI mais comme tous les matins elle était partie avec quelques unes de ses co-locatrices pour l’embauche à 7 heures. Elle n’a pas voulu me dire ce qui s’était passé. Pourtant son visage fermé indiquait clairement une remontrance de trop ou pire. Quand on s’indigne de la situation des ouvriers du textile dans les pays du sud on pense que c’est à cause du système, bref que personne n’est responsable. Pourtant les inconduites personnelles rendent encore plus insupportable la vie de ces jeunes femmes. On ne leur a souvent jamais dit que leur vie avait de l’importance, de la valeur, du prix et on va parfois même jusqu’à leur dénier toute dignité. Mais pour en revenir à ce cas précis, il a bien fallu qu’Eang revienne pour travailler… Sa famille avait besoin de son salaire.
La plus grande partie des habitants de la cité vit à peu de choses près comme dans une prison : seulement des devoirs, travail à l’usine juste derrière la muraille qui encercle nos habitats, sorties très rares faute de moyen de locomotion et d’argent si ce n’est sur le terrain vague d’en face le dimanche soir. Elle visite tout de même sa famille restée au village deux ou trois fois par an. Et elle garde toujours le sourire…
L’idée de départ était de trouver un auteur pour recueillir le témoignage des membres de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne de Phnom Penh. Ils travaillent presque tous à l’usine, en particulier dans le secteur de l’habillement.
Couverture
En revenant à Phnom Penh en 2009 après 4 ans d’absence, il était tentant de croire qu’après avoir pris une année pour voir, observer, écouter, nous allions pouvoir faire démarrer ou redémarrer des équipes de relecture de vie de jeunes travailleurs avec quelques intéressés comme à l’époque de ma coopération dès fin 2003. Cette démarche vécue lors de rencontres régulières permet de mieux saisir l’importance, la valeur de sa vie, de la vivre plus intensément, en en savourant chaque instant, en y étant toujours plus présent. Ainsi ceux qui jouent le jeu prennent plus de responsabilités dans leur vie, en deviennent acteurs. Mais au bout de quelques mois il a fallu se résoudre au fait que cela était plus mon projet que le leur. Cette expérience incite à plus écouter la volonté supérieure, la volonté intérieure. C’est par elle qu’arrive le succès parce qu’elle veut le bien de tous.
2 semaines après l’installation, la crémaillère avec les voisins les plus proches. C’était la première fois que je les invitais.
Crémaillère
Pour Madeleine DELBREL, les voisins étaient des personnes extrêmement importantes puisqu’il s’agissait des plus proches. « Ce que nous cherchions, ce que je voulais, c’était la liberté de vivre au coude à coude avec les hommes et les femmes de toute la terre, avec mes voisins de temps, les années de nos mêmes calendriers et les heures de nos mêmes horloges. » Extrait du livre : *« Pourquoi s’installer aussi loin ? Et puis c’est mal famé, calme [comprendre dangereux]. » A ce propos Sophéap m’avait prévenu : « Ne parle pas trop avec les voisins, la nuit rentre ton linge et tes chaussures, achète un nouveau cadenas, un gros ! »