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Des jeunes en mouvement

Monographie rédigée le 4 novembre 2001

Depuis mon voyage à Sao Tomé et Principe je ne suis plus le même.

J’ai été transformé. Aujourd’hui, je comprends pourquoi et je sais en quoi grâce à la relecture que j’en ai fait. Je devais partir seul pour revenir autre. Avec un peu de recul je m’aperçois qu’il s’agit là d’une des plus importes étapes de ma vie. Ma plus grande découverte là-bas, c’est moi.

Après avoir travaillé en philosophie la question de l’autre voici ce que je retiens de façon synthétique. Autrui me permet d’acquérir une conscience de moi-même. Que serais-je si je n’avais jamais rencontré personne ? C’est d’ailleurs grâce aux autres que j’ai pis conscience de ce que je vais développer. L’autre est aussi celui qui me juge, qui me gène, qui m’enferme dans ce que je dois être pour lui, qui m’empêche d’être naturel, qui fait que je ressens de la honte (comment peut-on avoir honte sans regard extérieur?). Ma prison, c’était les autres. L’enfer, c’est les autres (Jean-Paul Sartre).

En Afrique noire, je me suis rendu compte que ce schéma n’était valable qu’en Occident. Là-bas j’ai rencontré des gens qui portent rarement un regard hostile, qui ne jugent pas, qui sont plus naturels qu’en Europe, qui ont moins tendance à jouer un rôle, qui sont plus vrais, plus francs, plus spontanés, qui n’enferment pas autant que chez nous l’autre dans l’image qu’ils ont de lui, ils accordent moins d’importance à l’apparence… Le regard que portent les gens sur les handicapés et les personnes âgées n’exclue pas. Les Sao toméens que j’ai rencontré ne m’envoyaient pas a la figure ce que j’étais et que je n’acceptais pas. Avec eux j’étais libéré de ma prison.

Alors que je ne les connaissais pas je me suis très vite senti à l’aise avec eux. En fait j’ai goûté a une certaine liberté que je ne retrouvais pas en France. Je pouvais enfin être moi!

C’est lors des vêpres a la primatiale Saint Jean pendant la rencontre des séminaires de France qu’en une fraction de seconde j’ai compris tout cela, je ne sais pourquoi ni comment. J’ai saisi pour quelles raisons jetais aussi bien a sao lome, pourquoi je refusais de rencontrer les Européens que je croisais. J’ai compris qui j’était.

De la part de mes parents et surtout de ma mère j’ai reçu une éducation. On m’a montré sûrement inconsciemment qu’il ne fallait pas se mettre en avant, se faire remar-quer, se montrer, qu’il ne fallait pas exprimer ses pensés, ses sentiments ou même ses convictions, sa foi. J’ai hérité de tout cela et jusqu’au collège j’étais très timide.

C’est peut-être aussi parce que j’ai grandi dans un quartier ou beaucoup de jeunes de mon âge étaient assez agressifs. A tel point que ça devenait presque un handica-pe. Alors je me suis pris en main. J’ai décidé d’aller au delà de ce que j’étais et qui ne me plaisait pas. Curieusement au lycée ma personnalité transparaissait dans mes dessins. Mes professeurs me reprochaient de faire des dessins petits, ternes. Je me suis donc mis à utiliser toute la surface du support, à exagérer les couleurs…jusqu’à l’excès. Les professeurs me l’ont aussi parfois reproché (même dans les notes) mais j’étais content, satisfait de moi car petit à petit j’effaçais ce que j’étais. Je suis devenu dans certaines limites exubérant. Je me forgeais une nouvelle image. Je mentais aux autres et surtout a moi. J’avais une haute estime de moi. L’exigence que j’avais envers moi-même m’empêchait de voire la réalité en face. Il fallait que je sois quelqu’un sur de lui. J’avais sans cesse besoin de me prouver que j’étais capable.

L’humour, certaines fois jusqu’à l’exagération, était un très bon moyen pour me cacher. Certains m’ont aussi souvent enfermé là dedans.

Le contraste que j’ai vécu en Afrique m’a ouvert les yeux. Apres plusieurs semaines j’ai compris pourquoi je ne voulais plus quitter mon île africaine, pourquoi j’y étais aussi détendu. J’ai saisi que pour gagner ma liberté — ici — je devais assumer ce que j’étais. Pour retrouver ce qui m’a tellement plus à Sao Tomé je dois véritablement reconnaître mes limites, les assumer. Je dois aussi accepter l’héritage de ma famille, qui empêche toujours une communication vraie, pour qu’il ne devienne pas une pri-son. J’ai peur d’être jugé par les autres. Je reconnais aujourd’hui que j’ai besoin de m’affirmer, de gagner en assurance. C’est dans ces conditions que je serai capable de prendre des moyens pour aller au delà de mes propres limites même si je ne serai jamais complètement un autre. Malgré tout je pense qu’avec le temps, l’âge, la foi et l’aide de l’Esprit Saint j’en serai capable.

Déjà j’essaie dans ma vie de tous les jours de mettre en pratique tout cela. Je dois gagner confiance en moi. « La vérité vous rendra libre » (Jn 8, 32). Je veux être vrai.

Je rends grâce au Seigneur de m’avoir réconcilié avec moi-même, de m’avoir permis de faire ce voyage, d’analyser mes découvertes et de me permettre de les écrire, de les dire.

Depuis mon retour je suis profondément heureux. Je suis content de pouvoir dire ce que je viens d’exposer car il eut été pour moi impossible d’écrire un tel témoignage il y a seulement 3 mois.

Par Yann D

Le choix de Yann DEFOND pour la vie en tant que fils d’ouvrier et chrétien est de partager l’existence des travailleurs qui habitent le plus grand quartier ouvrier du Cambodge en solidarité. Il a d’ailleurs lui-même travaillé en usine, dans l’industrie graphique, en France, son pays natal.
Son témoignage en cours d'écriture relate donc ce qu’il peut observer auprès des jeunes femmes qui cousent jour après jour bon nombre des vêtements que portent les européens. Quelques réflexions et autres notices autobiographiques agrémentent ce texte dans lequel il évite humblement d’employer le pronom personnel sujet de la première personne du singulier pour parler de lui.

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