La décision de mon propriétaire de raser mon allée pour bâtir des compartiments commerciaux m’oblige à m’implanter dans une autre cité ouvrière pour continuer à « apporter l’espoir auprès des ouvriers » comme je le dis souvent en khmer pour résumer mon choix de vie solidaire. Je poursuivrai le plus près possible. En attendant, tous les 10 jours, un nouvel élément vient bouleverser mon orientation vers tel ou tel studio.
J’étais prêt à préparer une fête d’adieu presque entièrement seul. Le propriétaire était d’accord. Le Comité Vie Ouvrière du vicariat apostolique de Phnom Penh aurait pris à sa charge les photocopies. Cependant le titre du livre est UNE VIE AVEC LES OUVRIERS DU CAMBODGE et non UNE VIE POUR LES OUVRIERS DU CAMBODGE alors il fallait impliquer des voisins. Je ne voulais pas organiser une fête d’adieu tout seul en totalité. Cela n’aurait pas eu de sens.
Finalement, même en ayant réduit la voilure (passer de l’échelle de l’allée à l’échelle du bloc) personne ne s’est dévoué pour prendre les coordonnées des voisins avec moi. J’ai même entendu dans un studio : « Nous partirons sans dire au revoir et puis tant pis. »
C’est peut-être que mes 14 ans d’apostolat dans la cité sont partiellement un échec. Je choisis prendre cet événement de l’expulsion comme une chance, celle de relancer mon zèle apostolique. Que l’Esprit Saint revivifie ma présence aimante au milieu des ouvriers ! J’ai grand besoin de lui.
J’aurais voulu que nous organisions un événement pour nous quitter en donnant du sens à ce que nous avons vécu ensemble. Tey m’a avoué : « Quand le propriétaire nous a fait savoir qu’il arrêterait de nous louer nos studios, je me suis mise à pleurer. La nuit, je n’ai pas trouver le sommeil. » Une erreur architecturale et la mauvaise gestion collective des déchets fait que nous sommes inondés une douzaine de fois par mousson. Pourtant personne ne tient à quitter la cité. Certes les loyers sont très bon marché et les studios relativement grands. Mais il me semble que ce à quoi nous tenons tant c’est la communauté que nous avons formée au cours des années. L’ambiance est fraternelle entre voisins. Nous nous entraidons, nous échangeons au quotidien. Nous entrons chez les uns ou chez les autres sans frapper à la porte. Une grande confiance règne entre nous.
L’an dernier, les membres de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne se sont formés autour du thème du changement. Ils en ont conclu qu’il survenait lorsqu’il y avait l’unité qui se construit par des gestes d’encouragement qui témoignent que l’autre a de la valeur. Je voudrais que mes voisins comprennent cela aussi. C’est un donnant de l’importance à l’autre, en ayant conscience de sa valeur que nous édifions une société plus juste, plus digne, plus égalitaire. Je pensais que cela aurait pu passer par une fête d’adieu. J’ai tout de même créé un groupe sur le réseau social facebook pour les anciens et actuels habitants de la cité aux toits bleus. J’y partager mes photos et vidéos de la cité. J’ai invité 74 personnes concernées. 6 sont devenues membres. C’est peu mais il s’agit moins d’un refus de rester en contact que d’un défaut de maîtrise de l’outil.
Je fréquenterai toujours ce qui restera de la cité jusqu’à sa destruction totale dans quelques années. J’y ai tellement de connaissances. Il y a cette voisine, Khey, qui est arrivée dans la cité un peu avant moi, toutes ses sœurs sont passées par l’usine ici et je suis très lié à sa famille. Je vais dans son village tous les ans donc l’éloignement ne changera pas grand chose dans notre relation.
Je serai le dernier à quitter l’allée pour voir les autres partir et donc les accompagner afin de voir où ils vont. Ça leur donnera aussi l’opportunité de garder un lien avec moi parce que je ne tiens pas à entretenir des relations sans réciprocité. En tous cas, j’irai visiter au moins une fois les plus proches voisins disséminés. Sur 4 studios, 3 vont dans une cité toute proche juste à l’extérieur du parc industriel.