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Des jeunes en mouvement

Jeunes gens et Jeunesse Ouvrière Chrétienne

Article écrit pour CIJOC Online numéro 2 en 2011.

Les conditions de travail des ouvriers de l’habillement, on le sait, sont très difficiles. Trop souvent leur dignité de fils de Dieu est bafouée. Dans un mode globalisé, s’installe une concurrence non-régulée et malsaine entre pays pauvres dans bien des domaines, c’est à qui donnera les salaires les plus bas, le moins de liberté syndicale et les conditions de travail les plus dures.

Ainsi, même si l’industrie de la confection apporte tout de même 370.000 emplois au Cambodge (14.000.000 d’hab.), le prix à payer est cher… Devant les machines à coudre on met de préférence des jeunes femmes qui forment un personnel malléable. Les congés payés sont quasiment inexistants. Les congés maternité n’existent pas du tout et le tôt de fausses couches chez les ouvrières de l’habillement est consternant.

Les salaires sont extrêmement bas : le minimum garanti est équivalant à 47 €/mois. Pour cette raison les conditions de vie sont pénibles comme en témoigne Tey :  » J’ai dû emprunter 20.000 riels (3,5 €) pour acheter une simple paire de chaussures… » Ainsi un éditorialiste a pu écrire :  » les emplois dans l’industrie textile au Cambodge ne sont pas un ascenseur permettant de sortir de la pauvreté. Peu d’entre elles ont l’opportunité d’évoluer dans leur carrière, que ce soit dans l’industrie du vêtement ou à l’extérieur.  » Ceux qui ont des enfants, ne peuvent pas payer la crèche ou une nourrisse pour les faire garder et doivent choisir entre enfants ou travail. Et puis les contrats à durée déterminée sont de plus en plus nombreux ce qui les privent les travailleurs de leurs droits les plus élémentaires.

Il existe quelques usines modèles mais ailleurs les heures supplémentaires au delà du maximum légal sont parfois quotidiennes. Le travail forcé est une pratique qui existe aussi. Il n’est pas rare de voir des ouvriers travailler plusieurs semaines d’affilé sans un seul jour de repos. Et puis on ne compte plus les insultes et les menaces proférées.

Enfin les répercutions sur la santé sont importantes à cause de la mal-nutrition, des mauvaises conditions de logement, de la promiscuité, de l’absence d’assurance maladie (mais cela commence à venir), des produits chimiques employés pour les textiles, du manque d’aération dans les usines etc. Tous les jours  dans le royaume un nombre impressionnant d’ouvrières s’évanouit au travail. Les anémies et maladies à répétition sont très fréquentes. Dans les quartiers ouvriers, la première cause de consultation  d’un médecin chez les femmes est l’irrégularité, voir même l’arrêt, des menstruations…

Depuis le début des années 2000, avec ses faibles moyens, la JOC tente d’être vecteur de l’Espérance auprès de cette population. La liberté d’expression est limitée et les jeunes travailleurs catholiques sont très peu nombreux. Mais ils sont soutenus par les autres jocistes asiatiques. Sothéa et Youri qui participèrent à la rencontre des responsables des JOC d’Asie en septembre 2011 sont à présent des meneurs qui ont le soucis des autres. Dans une autre mesure, Salat qui avait vécu la rencontre de Séoul en 2006 est aussi là pour encourager les équipes naissantes.

Comme le rappela l’évêque de Phnom Penh lors du premier festival des travailleurs (Photos sur Picasa : FestivalDesTravailleurs2011) organisé par le comité vie ouvrière, l’essentiel est de faire découvrir la dignité et la valeur inestimable, mais souvent niée, de chaque vie :  » un jeune travailleur vaut plus que tout l’or du monde. « 

Pour cela, petit à petit, des équipes de révision de vie encore fragiles se mettent en place. Un festival des travailleurs devrait être organisé régulièrement comme célébration d’un cheminement avec le Christ pour certains, d’un parcours de réflexion et d’actions autour d’un thème d’année pour tous. Les temps purement conviviaux ne sont pas oubliés avec des sorties à des occasion comme celle de la fête des eaux !

Traduction de l’article
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Des jeunes en mouvement

Monographie rédigée le 4 novembre 2001

Depuis mon voyage à Sao Tomé et Principe je ne suis plus le même.

J’ai été transformé. Aujourd’hui, je comprends pourquoi et je sais en quoi grâce à la relecture que j’en ai fait. Je devais partir seul pour revenir autre. Avec un peu de recul je m’aperçois qu’il s’agit là d’une des plus importes étapes de ma vie. Ma plus grande découverte là-bas, c’est moi.

Après avoir travaillé en philosophie la question de l’autre voici ce que je retiens de façon synthétique. Autrui me permet d’acquérir une conscience de moi-même. Que serais-je si je n’avais jamais rencontré personne ? C’est d’ailleurs grâce aux autres que j’ai pis conscience de ce que je vais développer. L’autre est aussi celui qui me juge, qui me gène, qui m’enferme dans ce que je dois être pour lui, qui m’empêche d’être naturel, qui fait que je ressens de la honte (comment peut-on avoir honte sans regard extérieur?). Ma prison, c’était les autres. L’enfer, c’est les autres (Jean-Paul Sartre).

En Afrique noire, je me suis rendu compte que ce schéma n’était valable qu’en Occident. Là-bas j’ai rencontré des gens qui portent rarement un regard hostile, qui ne jugent pas, qui sont plus naturels qu’en Europe, qui ont moins tendance à jouer un rôle, qui sont plus vrais, plus francs, plus spontanés, qui n’enferment pas autant que chez nous l’autre dans l’image qu’ils ont de lui, ils accordent moins d’importance à l’apparence… Le regard que portent les gens sur les handicapés et les personnes âgées n’exclue pas. Les Sao toméens que j’ai rencontré ne m’envoyaient pas a la figure ce que j’étais et que je n’acceptais pas. Avec eux j’étais libéré de ma prison.

Alors que je ne les connaissais pas je me suis très vite senti à l’aise avec eux. En fait j’ai goûté a une certaine liberté que je ne retrouvais pas en France. Je pouvais enfin être moi!

C’est lors des vêpres a la primatiale Saint Jean pendant la rencontre des séminaires de France qu’en une fraction de seconde j’ai compris tout cela, je ne sais pourquoi ni comment. J’ai saisi pour quelles raisons jetais aussi bien a sao lome, pourquoi je refusais de rencontrer les Européens que je croisais. J’ai compris qui j’était.

De la part de mes parents et surtout de ma mère j’ai reçu une éducation. On m’a montré sûrement inconsciemment qu’il ne fallait pas se mettre en avant, se faire remar-quer, se montrer, qu’il ne fallait pas exprimer ses pensés, ses sentiments ou même ses convictions, sa foi. J’ai hérité de tout cela et jusqu’au collège j’étais très timide.

C’est peut-être aussi parce que j’ai grandi dans un quartier ou beaucoup de jeunes de mon âge étaient assez agressifs. A tel point que ça devenait presque un handica-pe. Alors je me suis pris en main. J’ai décidé d’aller au delà de ce que j’étais et qui ne me plaisait pas. Curieusement au lycée ma personnalité transparaissait dans mes dessins. Mes professeurs me reprochaient de faire des dessins petits, ternes. Je me suis donc mis à utiliser toute la surface du support, à exagérer les couleurs…jusqu’à l’excès. Les professeurs me l’ont aussi parfois reproché (même dans les notes) mais j’étais content, satisfait de moi car petit à petit j’effaçais ce que j’étais. Je suis devenu dans certaines limites exubérant. Je me forgeais une nouvelle image. Je mentais aux autres et surtout a moi. J’avais une haute estime de moi. L’exigence que j’avais envers moi-même m’empêchait de voire la réalité en face. Il fallait que je sois quelqu’un sur de lui. J’avais sans cesse besoin de me prouver que j’étais capable.

L’humour, certaines fois jusqu’à l’exagération, était un très bon moyen pour me cacher. Certains m’ont aussi souvent enfermé là dedans.

Le contraste que j’ai vécu en Afrique m’a ouvert les yeux. Apres plusieurs semaines j’ai compris pourquoi je ne voulais plus quitter mon île africaine, pourquoi j’y étais aussi détendu. J’ai saisi que pour gagner ma liberté — ici — je devais assumer ce que j’étais. Pour retrouver ce qui m’a tellement plus à Sao Tomé je dois véritablement reconnaître mes limites, les assumer. Je dois aussi accepter l’héritage de ma famille, qui empêche toujours une communication vraie, pour qu’il ne devienne pas une pri-son. J’ai peur d’être jugé par les autres. Je reconnais aujourd’hui que j’ai besoin de m’affirmer, de gagner en assurance. C’est dans ces conditions que je serai capable de prendre des moyens pour aller au delà de mes propres limites même si je ne serai jamais complètement un autre. Malgré tout je pense qu’avec le temps, l’âge, la foi et l’aide de l’Esprit Saint j’en serai capable.

Déjà j’essaie dans ma vie de tous les jours de mettre en pratique tout cela. Je dois gagner confiance en moi. « La vérité vous rendra libre » (Jn 8, 32). Je veux être vrai.

Je rends grâce au Seigneur de m’avoir réconcilié avec moi-même, de m’avoir permis de faire ce voyage, d’analyser mes découvertes et de me permettre de les écrire, de les dire.

Depuis mon retour je suis profondément heureux. Je suis content de pouvoir dire ce que je viens d’exposer car il eut été pour moi impossible d’écrire un tel témoignage il y a seulement 3 mois.

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L'usine

MODA INGIUSTA

La fast fashion tra sfruttamento degli operai e danni ambientali.

Dans ce reportage en italien publié dans le mensuel JESUS, Stefania Culurgioni décrit les mécanismes économiques qui menacent l’environnement et condamnent les ouvriers de la confection textile des pays en voie de développement dont le Cambodge.

In Cambogia, Yann Defond, 45 anni, ha deciso di dedicare la sua vita agli operai poveri. Lo raggiun- giamo grazie al centro culturale dei missionari del Pime: Yann è un giornalista francese, originario di Lione, nato e cresciuto in una famiglia di operai cattolici: «Da giovane ho militato nella Jeunesse Catholique Chrétienne», raccon- ta. «Ho scoperto Cristo ma anche di appartenere alla classe operaia. Nel 2003, quando avevo 24 anni, sono venuto in Cambogia come cooperante, ho vissuto a Phnom Penh, poi sono tornato in Francia per continuare la mia formazione per diventare prete. Dopo quat- tro anni ha compreso che la mia vocazione era di vivere in mezzo agli operai poveri di questo Paese ma questa volta per sempre. Sono rimasto laico ma sono tornato qui per vivere il Vangelo tra loro, per pregare con loro. Oggi vivo facen- do il giornalista e confezionando oggetti artigianali tradizionali».

Yann conosce bene quali sono le condizioni di lavoro della popo- lazione del tessile: «I salari minimi erano passati da 60 a 204 dollari», spiega. «È stato quindi un grosso aumento ma dopo la pandemia si sono abbassati di nuovo. Il proble- ma è che si tratta del minimo indi- spensabile, servirebbero almeno 300 dollari al mese per vivere di- gnitosamente. Insomma, quello che danno è proprio il minimo vi- tale. Ma le ore di lavoro sono mas- sacranti: si lavora come minimo otto ore per sei-sette giorni, ma spesso nelle fabbriche si arriva a dieci ore e raramente gli operai si rifiutano di fare gli straordinari. Dentro, le condizioni sono molto dure: non c’è ventilazione, le garanzie sanitarie non sono buone, non ci sono misure di protezione». Ma Yann descrive anche il «clima di paura» che si respira nell’aria: «Gli operai hanno anche timore a chiedere i congedi di malattia», dice. «La mentalità è quella della sottomissione, dappertutto: si ha paura del Governo, le donne hanno paura dei mariti, i lavoratori han- no paura dei capi. L’operaio medio non ha consapevolezza che il suo lavoro sia pagato così poco rispetto a quanto guadagna il suo commit- tente, si accontenta di quello che gli dà».

Extrait de l’article
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Les voisins

L’heure d’un premier bilan

Hier, l’Église célébrait la solennité de la naissance de saint Jean le Baptiste, mon saint patron. Ce même jour, je suis allé rendre visite à 2 ouvrières de ma cité que je connais depuis une dizaine d’années. Malheureusement elles avaient rendu leur studio depuis 2 ou 3 semaines. L’une s’était mariée. Ce n’est pas la première fois qu’une ouvrière de mon entourage disparaît sans rien dire. J’avoue être vexé pourtant je sais bien que cela n’a rien à voir avec moi. C’est simplement que les mœurs locales n’obligent pas à dire au revoir aux gens qu’on aime. Ça n’enlève rien à ce qui a été vécu. Dans ce contexte, même si l’on a construit des liens avec une personne que l’on est amené à côtoyer régulièrement par la force des choses on ne cherche pas à entretenir la relation quand on n’est plus amené à la côtoyer. Il faut dire que globalement, les Cambodgiens ont une culture plus passive qu’active.

Cela fait un an, qu’avec ces deux ouvrières et d’autres, nous avons dû quitter notre cité aux toits bleus parce que le propriétaire voulait faire détruire notre allée. Nous nous sommes installés dans une autre cité à proximité. L’heure d’un premier bilan est venue. Dans l’autre cité, nous vivions chacun dans des studios de plain-pied séparés mais un peu comme une communauté. Nous étions très proches les uns des autres. Nous étions comme des familiers. Immédiatement, nous nous adressions les uns aux autres en employant nos prénoms. Ceci équivaut en français à un tutoiement. Les enfants m’appelaient ton ton Yan. Avec la plupart, nous entretenions une réelle réciprocité relationnelle. Cela n’est absolument pas le cas dans notre nouvelle cité. Je connais un certains nombres de voisins depuis longtemps. Ils me sollicitent très peu ; moins qu’avant le déménagement. Les relations entre occupants de la cité sont bonnes. Nous nous parlons. Nous échangeons. Mais les voisins s’adressent à moi en me disant បង. Ceci équivaut en français à un vouvoiement avec le prénom en apostrophe. Les enfants m’appellent grand-père français (homme de type européen bien plus âgée). Chacun vit sa vie sans en informer les autres. Les invitations collectives sont rares désormais. Même quand un lien relationnel est établi, c’est presque à chaque fois moi qui vais vers.

La typologie du quartier change. Il a été décidé depuis de nombreuses années de faire transiter la zone dans laquelle j’habite. Du plus grand quartier ouvrier du pays, elle doit devenir résidentielle et commerciale. Ainsi régulièrement des usines ferment pour s’éparpiller à la campagne le long des routes nationales. La moyenne d’âge des ouvriers augmente peu à peu mais pas autant que mon âge à moi. Ils étaient presque tous célibataires il y à quelques années mais petit à petit, on observe de plus en plus de couples d’ouvriers avec enfant. Quand on vit en famille, on est peut-être moins tourné vers l’extérieur. Auparavant, des ouvrières répondaient à mes invitations. Ce n’était pas régulier mais certaines venaient se confier à moi. Elles avaient semble-t-il une attente vis-à-vis de moi. Elles m’appréciaient certainement parce qu’elles voyaient en moi quelqu’un de sûr, de solide et un homme de confiance. Petit à petit, les voisins que je connais depuis longtemps sont de moins en moins nombreux et de moins en moins en attente vis-à-vis de moi. Il y a bien le couple mandataire du propriétaire qui gère la cité ; il est régulièrement dans le tourment et se tourne vers moi. Les deux conjoints me voient comme un appui mais cette position me gène car je suis locataire et il y a donc un loyer dont je dois m’acquitter mensuellement entre nous. De façon générale, depuis la fin de la pandémie de coronavirus, j’ai l’impression que chacun vit plus pour soi ou pour sa famille exclusivement. Je le sens d’ailleurs en moi-même : je recherche le calme. Je suis moins porté, je le crains, à de me donner aux autres comme avant. En tout état de cause, je suis moins prompt à en accepter toutes les conséquences.

Il y a 20 ans, quand la Jeunesse Ouvrière Chrétienne du Cambodge est née, il y avait toujours du monde à la moindre activité alors qu’il y avait très peu d’argent pour les organiser. Aujourd’hui, l’argent est là mais plus les jeunes travailleurs. Auparavant, ils se contentaient de peu et aimaient se réunir. Aujourd’hui leurs goûts sont plus sophistiqués et ils sont plus en recherche de satisfaction immédiate. Ils sont plus mobiles, les sorties organisées les attirent moins. Durant des années, le gouvernement a ingénument sapé toute initiative collective visant à rassembler. Dorénavant plus aucun espoir collectif de paix et de liberté ne solidarise le peuple qui s’est résigné. Les autres organismes ouvriers ou engagés auprès des ouvriers, dans l’Église ou en dehors de l’Église rencontrent les mêmes difficultés tant et si bien que beaucoup ont renoncé. Avant la pandémie, nous étions cinq catholiques à vivres en solidarité avec les ouvriers au nom du Christ à Phnom Penh pour ne pas dire dans tout le pays. Il ne reste plus que moi. Après 15 années de présence que je juge, au risque de me tromper, relativement fructueuses, je fais l’expérience à présent d’une réelle aridité dans la mission.

Avant-hier, une femme travaillant à l’usine s’est installée dans un studio presque en face du mien. Nous nous étions déjà rencontrés l’an dernier grâce à une connaissance commune. C’est elle qui a fait la démarche de venir me voir. Avec les voisins qui étaient là avant mon arrivée, je construis des liens cependant ils ne franchissent pas le cap de l’amitié comme avec les locataires de ma regrettée cité. Dans les périodes de doute, il est pertinent de se recentrer sur l’essentiel, d’être là où le Seigneur nous appelle… Je vais m’attacher à creuser les fondations d’une belle relation avec Sokhom tout en persistant à vivre au milieu du monde, sans séparation car ce mode de vie édifie la paix.  « N’ayez pas le goût des grandeurs, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble » (Lettre aux Romains 12, 16).

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Des jeunes en mouvement

Le rassemblement du 22 mai à Phnom Penh

Article rédigé en 2005 alors que j’étais en mission de coopération pour le vicariat apostolique de Phnom Penh envoyé auprès des ouvriers de la confection textile.

Pour la première fois le 1° mai 2005, jour de la Saint Joseph patron des travailleurs et sous l’impulsion de la visite du Père John Marsland aumônier de la Coordination Internationale des Jeunesses Ouvrières Chrétiennes (Rome), les responsables des équipes de jeunes travailleurs que j’accompagne se sont retrouvés ensemble.

Les équipes se sont réparties les tâches : faire les courses, faire la cuisine, chercher de l’argent, préparer le temps de prière, les jeux, la salle, l’animation, réaliser les invitations, chercher des voitures pour le transport…

L’équipe des apprentis a cherché du matériel pour organiser l’événement dans son foyer : bâches, sono, casseroles, assiettes, nattes… Sokhchéa, lui, a préparé le temps de présentation de la démarche de révision de vie. L’équipe de Sophoas s’occupa de l’animation. Sophi et Sophoan préparèrent la prière.
Mon rôle était de les aider, voir de les inciter.

Finalement le dimanche 22 mai au matin tout a commencé avec le temps de prière. Lors du déjeuner le nombre d’assiettes, de couverts, etc… était très juste. « La viande n’était pas bonne et c’était trop salé » se plaignait Sophoas. Le programme de l’après-midi a tardé à être lancé. C’est peut-être ce qui a poussé une bonne vingtaine de jeunes à partir. Certains travaillaient de nuit, d’autres étaient malades, d’autres encore avaient prévenu qu’ils étaient occupés. Plus inquiétant, des apprentis se sont réfugiés dans leurs chambres. « Certains sont allés dans leur chambre car ils ne s’amusaient pas » expliqua Naré. Un groupe d’ouvriers du bâtiment est rentré car « ils ne savaient pas parler avec les autres ». Il faut dire qu’ils sont arrivés de la province de Kompong Speu il y a seulement 1 mois. « Ceux qui sont restés ont compris, ils reviendrons » se consolait Sophoas.


Au bout d’un moment les responsables d’équipe se sont présentés puis ont distribué à 5 groupes un texte puzzle à reconstituer. Ensuite des volontaires ont lu à haute voix le texte qui expliquait la révision de vie.
Sokhchéa et Sophoas ont alors vaguement expliqué comment et pourquoi chaque équipe se réunit une fois par mois. Alors que ce n’était pas prévu, ils ont donné la parole aux invités. Une dizaine d’entre eux ont tour à tour pris la parole pour partager les difficultés qu’ils rencontraient dans leur vie de tous les jours. La journée s’est terminée par des jeux. Faute de musique, personne ne dansa. « C’était surtout les garçons qui étaient déçus » précisa Srey Mao, ouvrière dans le sud de Phnom Penh.

Le rassemblement en chiffres : 130 invitations furent données de la main à la main. 80 jeunes travailleurs y ont participé dont 18 en équipe de révision de vie (sur 23). Sur les 80 jeunes, 24 étaient des baptisés (30%). Il y avait 30 garçons pour 50 filles; 43 ouvriers de la confection textile dont 38 jeunes femmes (89%). 5 adultes étaient aussi présents.

« Lorsque je suis faible, c’est alors que suis fort » (2 Co 12, 10)
Ce rassemblement n’avait rien de triomphant. « Il n’y avait pas d’ambiance festive » déplora Liet, apprentis. Mais les jeunes l’ont préparés avec leurs (petits) moyens, avec ce qu’ils sont. Peut-être qu’à travers leurs difficultés on pouvait entrevoir ce Jésus crucifié qui manifeste une puissance autre. Malgré la mauvaise organisation, à la fin l’ambiance était chaleureuse. C’était vraiment -leur- fête. D’ailleurs durant la journée, ils n’ont pas eu besoin de moi, si ce n’est pour combler l’étroitesse du budget.
« Nous n’avions pas d’argent! » s’exclamait Naré. Ils étaient partis sur un budget de plus de 100 $. Finalement ils ont recueillis 60 $. Une participation financière devait être demandée aux participants mais aux vus du déroulement de la journée, personne n’a osé récolter l’argent. Très peu ont donné. Cependant cela n’empêcha pas Sokhchéa de déclarer : « nous avions peu d’argent mais nous avons pu échanger et Jésus était là. »

Article publié dans CIJOC online 1
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L'installation

De la vocation chrétienne

Il en va de la vocation chrétienne comme de la théorie de l’évolution de C. Darwin. Ce n’est pas le besoin qui crée l’organe mais l’organe qui accomplit sa fonction selon l’environnement. Ainsi, répondre à sa vocation consiste à trouver l’environnement dans lequel ses charismes peuvent au mieux s’épanouir.

En effet cette unité n’est pas de l’ordre du faire ou de l’avoir. Elle est de l’ordre de l’être. Et elle se reçoit. On ne la trouve pas seulement en soi-même. Cette unité est communion solide avec la transcendance.

Extrait du livre
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La cité

Laudato si’

Dans cette lette encyclique sur la sauvegarde de la maison commune, le saint-père François évoque le genre de quartier populaire dans lequel j’ai choisi de m’installer. Il loue également une certaine manière d’y vivre.

Site du mouvement Laudato si’

Dans certains endroits où les façades des édifices sont très abîmées, il y a des personnes qui, avec beaucoup de dignité, prennent soin de l’intérieur de leurs logements, ou bien qui se sentent à l’aise en raison de la cordialité et de l’amitié des gens. La vie sociale positive et bénéfique des habitants répand une lumière sur un environnement apparemment défavorable. Parfois, l’écologie humaine, que les pauvres peuvent développer au milieu de tant de limitations, est louable. La sensation d’asphyxie, produite par l’entassement dans des résidences et dans des espaces à haute densité de population, est contrebalancée si des relations humaines d’un voisinage convivial sont développées, si des communautés sont créées, si les limites de l’environnement sont compensées dans chaque personne qui se sent incluse dans un réseau de communion et d’appartenance. De cette façon, n’importe quel endroit cesse d’être un enfer et devient le cadre d’une vie digne.

Extrait de Laudato si’
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Des jeunes en mouvement

À contre-pied

Lors de sa visite dans ma cité ouvrière, Etienne HOARAU a eu la délicatesse de m’offrir son livre. Il s’agit de deux récits de voyage : à deux en Amérique en vélo tout terrain et seul en train en Asie. D’autres ont parcouru le monde et écrit. La particularité de la narration d’Etienne réside dans le fait que son point de vue est celui d’une personne dont l’expérience de vie est marquée par le handicap. Ce chrétien a des difficultés à se mouvoir or il sillonne la planète… Ces analyses pleines  de bienveillance et empreintes d’humour sur lui-même transportent le lecteur d’une découverte à une autre. Par son mode de vie, Etienne est un original. Il est issu d’un milieu favorisée mais ses béquilles le rapprochent des petits. Il puise sans nul doute son positivisme et sa déconcertante détermination dans le combat de sa jeunesse pour marcher. Un exemple d’amoureux de la vie.

Couverture du livre

HOARAU, Étienne ; À contre-pied. Mille regards : 2014, 272 pages, broché, 11 x 17 cm, 7,7 €, EAN13 9782954222820

Prix des explorateurs 2013 (société de géographie)
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La cité

Léger retour en arrière

Je regrette la décision de mon ancien propriétaire de détruire mon allée dans la cité où j’ai loué un studio pour ouvrier de 2009 à 2023. Il y fait actuellement construire des compartiments commerciaux. Néanmoins elle n’a pas modifié mon projet de vie solidaire avec les travailleurs au nom de l’Evangile. Je poursuis ailleurs, à 500 mètres. 

J’ai eu 30 jours pour trouver le logement que j’occupe depuis. J’ai été sur le coup d’un studio identique au mien dans une autre cité de mon ancien propriétaire dans le même parc industriel. C’était la meilleure opportunité. L’ouvrière locataire devait quitter l’usine et s’installer dans son village d’origine avec sa famille. Il était convenu que je lui verse 300 $ pour reprendre la location. Etant donné le faible montant du loyer, j’aurais rentabilisé cet investissement en moins d’un an. Le jeu en valait la chandelle car, ailleurs, les loyers sont plus élevés et les habitations plus petites. Malheureusement, la société propriétaire a eu vent de l’affaire et a expulsé la famille prématurément. Il est légitime de la part d’un propriétaire de ne pas tolérer cette pratique. Cependant, ce genre de société ne devrait pas refuser d’établir une liste d’attente de ceux qui demandent à louer un studio…

En enquêtant, j’ai remarqué que les studios libres étaient automatiquement attribués aux employés du propriétaire. Comme j’avais repéré des studios qui se libéraient, j’avais grand espoir de pouvoir rester dans ma cité ou de pouvoir m’installer dans une autre appartenant à la même société possédant aussi le parc industriel. Finalement, je me suis retrouvé dans une autre cité ouvrière à proximité immédiate du parc industriel.

J’étais prêt à préparer une fête d’adieu presque entièrement seul. Le propriétaire était d’accord. Le Comité Vie Ouvrière du vicariat apostolique de Phnom Penh se serait chargé des photocopies. Mais le titre du livre est UNE VIE AVEC LES OUVRIERS DU CAMBODGE et non UNE VIE POUR LES OUVRIERS DU CAMBODGE alors il fallait impliquer des voisins. Même si cela aurait été plus simple, je ne voulais pas préparer une fête d’adieu à 100% par moi-même.

Finalement, même en ayant réduit la voilure (passer de l’échelle de l’allée à l’échelle du bloc) personne ne s’est dévoué pour prendre les coordonnées des voisins avec moi. J’ai même entendu dans un studio : « Nous partirons sans dire au revoir et puis c’est tout. »
C’est peut-être que mes 14 ans d’apostolat dans la cité ont partiellement été un échec. Je prends cet événement non désiré de l’expulsion comme une chance, celle de relancer mon zèle apostolique. Que l’Esprit Saint revivifie ma présence aimante au milieu des ouvriers !

Je fréquente toujours ce qui reste de cette cité et je continuerai jusqu’à sa destruction totale dans quelques années. J’y ai tellement de connaissances. Je tiens toujours mon principe de ne conserver que les relations avec réciprocité. Il y a une jeune femme qui est arrivée dans la cité un peu avant moi, toutes ses sœurs sont passées par l’usine dans le parc industriel et je suis très lié à leur famille. Je vais dans leur village tous les ans et encore avec mon frère lors du dernier nouvel an donc l’éloignement ne changera pas grand chose à notre relation.

Je fut le dernier à quitter l’allée pour voir les autres partir et les accompagner pour voir où ils allaient. Cela leur donna l’opportunité de faire subsister un lien avec moi. Mes plus proches voisins (3 studios) se retrouvent dans la même cité que moi. L’une d’entre eux m’a dévoilé : « Quand l’annonce de la destruction de notre allée fut faite, je me suis mise à pleurer. Les nuits qui suivirent, j’eus énormément de mal à trouver le sommeil. »

Que l’Esprit Saint 🕊️ aide les jeunes travailleurs de l’ex-allée T2 à donner du sens à ce que nous avons vécu ensemble malgré qu’il n’y ait pas eu de fête d’adieu.

En 2022, les membres de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne ont beaucoup vu jugé et agi autour du thème du changement. Ils en ont conclu qu’il survenait quand avec l’unité qui se construit au quotidien par des gestes d’encouragement qui témoignent que l’autre a de la valeur. Je voudrais que mes voisins comprennent cela aussi. C’est en donnant de l’importance à l’autre, en ayant conscience de sa valeur que nous édifions une société plus juste, plus digne, plus égalitaire, plus en paix.

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Le livre

Le livre (29)

La finalisation d’un manuscrit oblige à faire des choix parfois douloureux comme supprimer des paragraphes. Je vous propose donc ci-dessous un huitième et dernier passage rejeté.

Bureau de poste de Phnom Penh

La notion judéo-chrétienne de personne, comme être unique au destin singulier est étrangère au bouddhisme, religion à la doctrine cohérente s’il en est, qui ne voit en chaque être qu’un croisement temporaire de faisceaux d’énergie. Ainsi les désirs ou la volonté d’un individu comptent peu. A la fin d’un après-midi pluvieux l’agent d’accueil du bureau de poste de Phnum Pénh m’indiqua la direction du guichet qui devait être destiné au retrait d’argent transféré. Malheureusement il s’avéra très vite qui s’agissait plutôt du guichet de retrait des colis. En réalité l’agent n’avait pas écouté la question. A en juger par mon nez pointu (d’occidental) il était bien évident que le guichet qui me servirait serait celui des colis puisque seuls les nez empâtés sont destinataires de transferts d’argent. Bref, peu importait mon attente personnelle, celle qui comptait était plutôt celle de mon groupe d’appartenance comme l’agent se l’imaginait.

Extrait du manuscrit
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Le livre

Être un dirigeant selon la tradition khmère

L’auteur de ce livre, Will CONQUER, cite un extrait du mien en conclusion.

CONQUER, Will. ក្សត្រិយៈ ភាពជាអ្នកដឹកនាំតាមបែបប្រពៃណីខ្មែរ / Ksatriya: Leadership In The Khmer Tradition. Presses universitaires Mengly J. Quach. Phnom Penh : 10/1/2024.

La culture khmère provient en grande partie d’Inde. Au Cambodge, la société ne s’est jamais divisée en castes pourtant il en subsiste quelque chose dans le vocabulaire avec ses répertoires pour s’adresser aux personnes de son rang, aux membres d’une famille royale et aux bonzes. Mais c’est dans la mentalité collective que le système de castes survit. Cela se traduit par des rapports sociaux marqués par la soumission. Celui qui est au-dessus soumet celui qui est au-dessous et celui qui est au-dessous accepte d’être soumis à celui qui est au-dessus. La règle générale est donc d’être un enfant soumis à ses parents, une épouse soumise à son époux, un employé soumis à son employeur, un citoyen soumis au pouvoir politique. Ce phénomène ancestral se manifeste de façons variées où ceux qui ont le pouvoir l’exercent de manière autoritaire et où les autres expriment de la déférence.

Extrait du livre
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Le livre

Le livre (28)

La finalisation d’un manuscrit oblige à faire des choix parfois douloureux comme supprimer des paragraphes. Je vous propose donc ci-dessous un septième passage rejeté.

Consommation de jus de palmier à sucre dans la cité

On observe grossièrement que le bien commun est plus recherché dans les pays du Nord que dans les pays du Sud. En Asie du Sud-Est, une personne bénéficie peu du souci de l’intérêt collectif que portent les membres de la société autour d’elle. En même temps, aucune pression sociale n’exige d’elle un comportement différent de celui des autres. En Europe, une pression plus forte s’exerce sur les personnes pour qu’elles se soucient du bien commun. En même temps, elles bénéficient de ce souci que portent les membres de la société autour d’elles. Un ressortissant du Sud-Est asiatique qui vivra en Europe trouvera probablement pénible de devoir se préoccuper de l’intérêt collectif. Pourtant, il tirera un bénéfice du fait de ne pas être seul à adopter ce comportement. Un ressortissant européen en Asie du Sud-Est trouvera pénible de subir les effets d’un faible souci global du bien commun. Et cela sera d’autant plus vrai si son profil psychologique offre la particularité de le pousser à placer, de manière accrue, l’intérêt de tous au dessus du sien. Concrètement, il sera beaucoup plus victime d’accidents en tout genre qu’il en provoquera lui-même. Il devra alors se rappeler les mots de saint Pierre : « Ce que chacun de vous a reçu comme don de la grâce, mettez-le au service des autres, comme de bons gérants de la grâce de Dieu sous toutes ses formes : si quelqu’un a le don de parler, qu’il dise la parole de Dieu ; s’il a le don du service, qu’il s’en acquitte avec la force que Dieu communique. » (1 Pierre 4, 10-11).

Extrait du manuscrit